Confinement généralisé, récession annoncée : la crise sanitaire du Covid-19 va-t-elle impacter durablement nos modes de consommation ? Bien Vu a interrogé 3 experts habitués à sonder les tendances à venir de nos modes de vie.
Olivier Dauvers,
spécialiste du secteur de la distribution
Gérard Mermet,
sociologue, auteur de “Francoscopie 2030” (ed.Larousse)
Rémy Oudghiri,
directeur général adjoint de Sociovision
1. Covid-19, une crise sans précédent pour nos modes de consommation ?
Pas sûr selon les experts qui auscultent les mutations en cours de nos usages… “A chaque crise, on nous dit que tout va changer, mais la consommation est un phénomène très résilient”, analyse Olivier Dauvers, spécialiste du secteur de la distribution. “Cet épisode va accélérer les transformations de fond qui sont en cours mais beaucoup des habitudes que l’on prend aujourd’hui – que ce soit le stockage compulsif ou le retour aux magasins de proximité, plus rassurants que les grands hypers – se réajusteront naturellement après cette crise.” “Les commerces et entreprises ne devront pas tout changer au sortir de cette crise mais certainement aller plus vite en termes d’innovations pour s’adapter à une consommation qui va se rationaliser et se responsabiliser fortement”, confirme Rémy Oudghiri, directeur général adjoint de Sociovision qui vient de réaliser une étude sur les grandes tendances que la quarantaine en cours pourrait amplifier.
2. Le confinement va-t-il faire de nous des accros de l’achat en ligne ?
On pourrait le croire à voir l’explosion de la fréquentation des sites marchands. Les experts préfèrent tempérer. “On observe en effet un engouement pour ces nouveaux modes – à l’image du “drive” en grande distribution dont la fréquentation est passée d’une croissance annuelle de + 6 % à + 8 % à du + 30 % à + 40 % depuis le début de la crise”, confirme Olivier Dauvers. “Mais il est probable que les trois quarts de ces acheteurs retourneront en magasin une fois la situation revenue à la normale.” Ce qui laissera néanmoins un quart d’habitués de magasins convertis aux achats sur le web… Plus qu’un bond instantané des ventes en ligne, il faut s’attendre à une bascule plus progressive des usages. “Ce confinement nous habitue en réalité à un environnement digitalisé élargi où l’on se familiarise à quantité d’usages nouveaux : télétravail, téléconsultation, éducation à distance…”, témoigne Rémy Oudghiri qui fait de cette vie digitalisée l’une des tendances majeures de l’aprèsquarantaine. “Beaucoup de ces habitudes sont prises par défaut mais pourront générer demain de nouveaux usages autour d’aspirations vers une vie plus équilibrée et écologique.” Le sociologue Gérard Mermet, auteur de “Francoscopie 2030” (ed.Larousse) et familier du secteur de l’optique, complète : “Ce temps de confinement associe de plus en plus la proximité et la personnalisation au digital, et pas simplement à la relation client que l’on peut avoir en magasin”. A charge pour les opticiens de prendre le pli en consolidant leurs approches cross canal pour apporter la proximité sur ces différents fronts et consolider une relation client plus digitale que jamais.
3. La crise sanitaire va-t-elle renforcer nos attentes en matière de santé ?
Sans aucun doute pour les analystes. “La santé va représenter une part importante de notre conscience écologique dans les années à venir”, prévient Rémy Oudghiri. “Ce besoin croissant de prendre soin va coïncider avec l’arrivée à l’âge adulte de la génération dite PNNS (Programme national nutrition santé) qui a grandi dans la profusion de messages de prévention santé. Vous aurez des clients plus exigeants, mais aussi plus experts sur ces sujets.” Gare tout de même aux inégalités, car si l’on dépensera plus pour des produits de qualité et des garanties santé, tout le monde ne pourra pas le faire dans une économie en récession. “Cela risque de creuser l’opposition entre ceux que j’appelle “les tranquilles” et les “fragiles”. La crise des Gilets jaunes a illustré ces tensions et le sentiment de déclassement associé”, confirme Gérard Mermet. Le levier pour les opticiens ? Un 100 % Santé pleinement assumé et bien intégré dans les offres en magasin pour répondre à des attentes plus grandes… et des situations plus fragiles.
4. Quel rebond d’activité attendre après la crise du Covid-19 ?
Si le scénario d’une reprise forte d’activité au sortir du confinement est partagé, celle-ci n’apparaît ni vraiment durable ni compensatrice des pertes subies. “Les intentions d’achat perdues ne se rattrapent pas dans des marchés en surconsommation, même pour l’optique”, prévoit Olivier Dauvers. “La reprise d’activité sera d’autant plus brève que l’on va ressortir dans un contexte de crise économique forte. Il faut clairement s’attendre à une croissance négative pour la fin d’année”. Dans un pareil contexte, attractivité et fidélisation passeront par une confiance restaurée. “L’incertitude sanitaire que l’on traverse laissera des traces”, confirme Rémy Oudghiri. “Les professionnels comme les opticiens vont devoir affirmer encore plus leurs expertises en matière de santé visuelle”. “Les consommateurs vont changer, et les opticiens aussi doivent changer pour être au rendezvous de cette confiance à restaurer”, complète Gérard Mermet. “Cela passera par plus de transparence sur les produits et de conseil en magasin. Cela supposera également que les complémentaires santé soient plus présentes auprès des professionnels et ne se contentent pas d’aligner les catalogues sur leurs offres.”