Il était attendu depuis le premier trimestre 2020 : le rapport Igas, (Inspection générale des affaires sociales), consécutif à la lettre de mission envoyée par les ministères de la Santé et de l’Enseignement supérieur en août 2019, vient d’être communiqué aux instances professionnelles de l’optique. Partant du constat de l’insuffisance des mesures prises jusqu’à maintenant pour réduire les délais très élevés d’accès aux soins visuels, il recommande d’élargir les responsabilités et les prérogatives des opticiens en matière de réfraction et de dépistage. Une avancée majeure pour la profession.

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Le constat de l’Igas est sans appel : « Le maintien d’une organisation traditionnelle centrée sur le monopole des ophtalmologistes comme médecins de premier et second recours a été un choix stratégique en France, en rapport à d’autres pays. » Mais « même combiné à un activisme législatif, réglementaire et conventionnel et à une explosion de la démographie des orthoptistes et des opticiens, il n’a pas permis la réduction des délais très élevés d’accès aux soins et a débouché sur un bric-à-brac organisationnel. » Les prérogatives en matière de renouvellement et d’adaptation accordées aux opticiens par le décret Opticiens de 2016 n’ont pas eu l’effet escompté, selon l’Igas.

« Pour l’Igas, l’organisation traditionnelle des soins visuels en France se traduit par de très sérieuses difficultés d’accès aux soins, suscitant l’insatisfaction des patients et provoquant des comportements de contournement »

Reconnaissant qu’en l’état actuel de l’opinion des ophtalmologistes et des autres professionnels paramédicaux de la filière, « un changement profond de la filière (du type du modèle allemand) semble hors de portée », le rapport donne plusieurs recommandations principales. Et répond aux demandes formulées par les acteurs de l’optique d’une évolution significative de l’organisation de la filière.

Un coup d’accélérateur pour le renouvellement des équipements par les opticiens

Le nombre de renouvellements avec adaptation par les opticiens se situe actuellement entre 11 et 15 % des équipements délivrés (source : Observatoire Gallileo 2019). Selon l’Igas, ils constituent pourtant un dispositif extrêmement utile de désengorgement de la filière : « Il est donc indispensable de poursuivre cette stratégie. » Une recommandation qui rejoint le souhait exprimé par les syndicats d’opticiens auprès du ministère de la Santé pendant le confinement (La pénurie des ordonnances pèse sur la reprise).

« Le renouvellement avec adaptation par l’opticien est un dispositif extrêmement utile pour désengorger les cabinets d’ophtalmologie »

Le rapport préconise donc :

  • Le lancement de campagnes d’informations annuelles sur cette possibilité offerte par le décret Opticiens de 2016 et le décret du 24 avril 2020 concernant les compétences des orthoptistes. Cette communication serait assurée par l’assurance maladie en partenariat avec les professionnels et, le cas échéant, les Ocam.
  • L’ajout systématique sur les ordonnances de leur durée de validité et de la possibilité de l’adaptation par un opticien ou un orthoptiste.
  • L’autorisation pour les opticiens de communiquer sur les renouvellements hors du magasin « dans une formulation qui ne constitue pas une incitation commerciale ».

Elargir les possibilités d’adaptation données aux opticiens

Pour doubler avant fin 2021 la proportion actuelle de renouvellements réalisés par les opticiens, l’Igas propose :

  • De prolonger de 2 ans la validité des ordonnances pour les 16-42 ans. Elle passerait donc de 5 à 7 ans. Cette mesure devrait s’accompagner d’un rappel ferme de l’obligation d’en informer le médecin prescripteur.
  • D’autoriser l’adaptation des primo-prescriptions en cas d’erreur manifeste ou d’inconfort. « L’adaptation dans ce cas devrait être marginale (dans la limite de 0,5D par exemple) avec obligation d’en informer le prescripteur qui pourrait la refuser pour des raisons médicales. »
  • D’autoriser, au cas où ces mesures ne suffiraient pas à faire baisser les délais de rendez-vous chez l’ophtalmologiste, la primo-prescription pour les 16-42 ans avec faible correction (+-2D). Le rapport note que cette situation existe déjà dans certains magasins, en particulier low cost. Cette mesure serait soumise à plusieurs conditions : les opticiens autorisés à cette primo-prescription devraient être titulaires d’une licence, la tarification serait celle pratiquée pour l’adaptation avec renouvellement (10€, conformément aux dispositions du 100% Santé), et l’équipement ferait partie du panier A.

« La validité des ordonnances des 16-42 ans pourrait être prolongée à 7 ans »

Plus d’outils pour les opticiens

L’Igas recommande ensuite de mieux intégrer les opticiens dans une équipe de soins pluri-professionnelle, en magasin comme en cabinet. Ce qui permettrait de régulariser certaines situations de fait et surtout de lever les obstacles à la télé-médecine en point de vente. Il préconise ainsi d’élargir la liste des matériels d’exploration utilisables par les opticiens :

  • Pour les opticiens à bac+3, possibilité d’utiliser du matériel comme l’autoréfractomètre, le réfracteur, la lampe à fentes (ce qui est déjà le cas depuis le décret de 2016), mais aussi le tonomètre, l’OCT et le rétinographe.

Evolution de la formation, 2e volet de la réforme 100 % Santé

Dans la continuité du rapport Voynet de 2015 et des engagements du ministère de la Santé dans le cadre de la réforme 100 % Santé, l’Igas détaille la modernisation souhaitée de la formation des opticiens :

  • Création, dans le cadre d’une expérimentation, d’une licence de santé visuelle selon 2 parcours (orthoptie et optique de santé), des spécialisations et des passerelles pour les opticiens.
  • Création d’un master de pratique avancée santé visuelle ouvert aux orthoptistes et au opticiens (niveau bac+3).
  • Evolution des masters d’optométrie vers des masters d’optique appliquée aux matériels et aux équipements.

C’est incontestable : toutes ces recommandations de l’Igas font bouger les lignes. Elles repoussent les limites définies par le décret de 2016, tout en s’inscrivant dans une évolution en « douceur » de la filière visuelle. Une excellente nouvelle pour les porteurs et toute la filière. En corollaire, elles introduisent une clarification des pratiques de tous les acteurs. A commencer par les opticiens qui devraient être soumis à des contrôles des ARS et des CPAM : « Compte tenu des proximités entre prescriptions d’adaptation, d’une part, et ventes, d’autre part, il serait justifié de renforcer les garanties éthiques et les contrôles », précise le rapport. Mais pas seulement : l’Igas observe la nécessité de « rappeler aux Ocam qu’ils n’ont pas à exiger une ordonnance récente quand il existe une ordonnance en cours de validité ».

Reste à connaître les suites données à ce rapport par le ministère de la Santé. A n’en pas douter, il constitue la feuille de route de l’évolution décisive de la profession d’opticien pour les 2 années à venir. Le calendrier défini par l’Igas (déjà obsolète, pour cause de crise sanitaire et de confinement) montre la volonté d’aller vite. Et nous verrons d’ici la fin de l’année si ces recommandations s’intègrent dans le prochain PLFSS (Projet de loi de financement de la Sécurité sociale) présenté au Parlement.