Les recommandations du dernier rapport de l’Igas (Filière visuelle : les lignes bougent enfin) préconisent un nouveau modèle de prise en charge des soins visuels. Avec, au cœur de cette logique, la question du point d’entrée des patients/clients dans le parcours de soins. Avec quelles complémentarités entre opticiens et orthoptistes ?
Bien Vu a interrogé Laurent Milstayn, président du Snao (Syndicat national autonome des orthoptistes).
Le récent rapport de l’Igas (Inspection générale des affaires sociales) sur la filière visuelle juge « très consommateur de temps médical » le modèle de collaboration entre ophtalmologistes et orthoptistes et estime qu’il est appelé à « plafonner sans délégations de tâches ». Partagez-vous ce constat ?
Ce dispositif a été instauré pour pallier la démographie médicale déclinante des ophtalmologistes et désengorger provisoirement l’accès aux soins – ce qu’il a fait. Mais nous sommes conscients, depuis longtemps, des limites qu’il pose et ce rapport n’est pas le premier à les pointer. Ce modèle est rendu obsolète tant par la demande grandissante des patients auquel il ne suffit plus à répondre que par l’avancée des technologies qui permettent des traitements plus souples et plus autonomes. La réponse à l’afflux de demande et au manque de professionnels passe aujourd’hui bien plus par la mise en place de filières de prises en charge distinctes et de délégations de tâches associées.
« Le modèle actuel est rendu obsolète tant par la demande croissance des patients que par l’avancée des technologies »
Ces mises en place sont au cœur de ce rapport. Dans quelle mesure conduiraient-elles à repenser la profession d’orthoptiste et les collaborations entre opticiens et orthoptistes ?
Il y aura des tâches nouvelles à assumer, aussi bien dans le pré-diagnostic que dans le suivi des patients et leur rééducation. Cela appelle inévitablement à une évolution de notre profession pour nous emparer de ces responsabilités nouvelles. Aujourd’hui, dans le cursus de formation initiale, les étudiants sont encore trop largement formés à l’accompagnement et l’aide à la consultation, plus qu’à la rééducation et la réadaptation. Il faudra faire évoluer les maquettes, en intégrant en particulier des stages en libéral.
« Le magasin d’optique n’est pas le point d’entrée adapté pour les parcours de soins »
Autre élément clé : les collaborations entre orthoptistes et opticiens. Il est clair pour nous que la délivrance de lunettes relève de leurs missions. Nous ne nous battrons pas non plus pour l’adaptation de lentilles de contact où ils ont affirmé leur pleine expertise. Reste la question de l’entrée dans le parcours de soins, où il va nécessairement y avoir un certain « tuilage » de compétences pour savoir qui diagnostiquera et orientera les patients ne nécessitant pas de passer directement par un ophtalmologiste. Cela sera particulièrement le cas si les primo-prescriptions sont instaurées. Pour nous, le magasin d’optique ne représente pas un point d’entrée particulièrement adapté pour les parcours de soins. Non seulement, ce n’est pas un cadre neutre et donc de confiance pour les patients, mais en plus les compétences acquises par les opticiens lors de leurs formations ne leur permettent pas vraiment d’assumer un tel niveau de délégation de tâches.
« Nous sommes clairement appelés à être le référent du premier accès dans les parcours de soins »
Le développement du télésoin peut aider en apportant une expertise à distance d’orthoptiste pour un certain nombre d’actes et de prescriptions, notamment le dépistage en Ehpad. Mais nous sommes clairement appelés à être le référent du premier accès dans les parcours de soins.
Un certain nombre de réseaux de soins veulent d’ores et déjà mettre en place des parcours avec des collaborations entre opticiens et orthoptistes. Que pensez-vous de leurs initiatives ?
Nous sommes encore peu impactés par les réseaux de soins et la manière dont ils veulent organiser les parcours à leurs niveaux. Mais nous les voyons venir et il va falloir discuter avec eux. C’est un vrai dilemme pour les professionnels d’orthoptie car ils représentent un volume de travail qui est clairement attirant. Toutefois, ils peuvent aussi décider des conditions de référencement si l’on ne prend pas les devants. L’enjeu pour les orthoptistes n’est pas de s’émanciper du travail aidé pour aller dans une autre forme de carcan.
Renforcer la collaboration entre opticiens et orthoptistes implique de transformer en partie les cursus de formation autour de troncs communs…
Il va falloir que l’on trouve des cadres communs avec les opticiens pour se rencontrer et se former ensemble – c’est certain. Il peut y avoir des cours en commun en formation initiale mais il est important de conserver des filières de formation distinctes.
Quel rôle pour les Assistants médicaux en ophtalmologie ?
En plus des ophtalmologistes, orthoptistes et opticiens, les patients en filières de soins visuels pourraient être vus dans les mois à venir par un autre professionnel : les AMO (Assistants médicaux en ophtalmologie). Instaurée fin 2019 par l’Assurance maladie, la profession d’assistants médicaux doit décharger les praticiens de tâches administratives et courantes des cabinets. Réservés aux généralistes, les AM devraient se décliner également en filière visuelle à la demande du Snof (Syndicat national des ophtalmologistes de France). Leur recrutement bénéficierait d’une aide financière conditionnée par la montée en puissance de la file active de patients en cabinets.
En 2012, la profession avait déjà initié la création de postes de TASO (Techniciens assistants en soins ophtalmologiques) en valorisant un gain de temps de travail de 20% à 30% grâce à ses assistants. Si le déploiement de ces assistants nouvelle formule paraît pertinent dans certains déserts médicaux où l’accès aux soins ophtalmologiques reste très critique, leurs champs de compétences réelles interrogent. Le rapport de l’Igas souligne le risque de « surqualification, en confiant à des secrétaires médicales la manipulation d’équipements relevant d’opticiens ou d’orthoptistes ». Le Syndicat national autonome des orthoptistes, déjà mobilisé contre les TASO, alerte déjà sur un danger d’ «exercice illégal de l’orthoptie». Le recrutement prochain de ces nouveaux acteurs des soins visuels sera surveillé de près.
Laurent Milstayn,
président du Snao (Syndicat national autonome des orthoptistes)