Alors que se profile un nouveau tour de vis dans les restrictions sanitaires, la crise qui dure depuis plus d’un an entraîne déjà des changements durables sur les modes de consommation.
Pour vous éclairer sur ces mutations, Bien Vu a interrogé 3 experts Olivier Dauvers, spécialiste de la consommation et de la distribution, Pascale Hébel, directrice du pôle « Consommation » du Credoc, Rémy Oudghiri, directeur général de Sociovision.
Une onde de choc sans précédent
Hausse sans précédent des achats en drive, bond de plus de 20% des ventes de e-commerce tous secteurs confondus, revendication d’achats plus locaux… Si 94% des Français* affirment avoir modifié leurs habitudes de consommateur durant cette année 2020 de confinements et contraintes sanitaires, qu’en restera-t-il une fois le retour à la normale ? « La consommation est un champ de comportements fait d’habitudes et de routines qui ne sont pas faciles de bouger », analyse Olivier Dauvers, spécialiste de la consommation et de la distribution.
« L’ensemble des nouvelles pratiques de consommation, dont la prise de rendez-vous chez l’opticien, ne se maintiendront pas à niveau équivalent après la crise. Pourtant on ne reviendra pas en arrière, le changement est profond et structurel »
Mais cette crise d’une ampleur inédite montre que, sous une contrainte forte, ces usages peuvent être durablement bouleversés. « On a vu en 2020 des comportements nouveaux et innovants se déployer alors même qu’ils relèvent de technologies qui restaient souvent marginales. » Exemples ? Les QR codes, dont la mise au point remonte à plus de 10 ans, intégrés en quelques mois dans nombre de commerces, ou le paiement sans contact généralisé à grande vitesse – selon Mastercard, 78% des transactions du commerce en Europe se sont faites en « sans contact » rien qu’en mai 2020 ! « Même dans l’optique, la prise de rendez-vous est devenue un usage courant en quelques mois », complète Olivier Dauvers. « L’ensemble de ces pratiques ne se maintiendront pas forcément à niveau équivalent, mais on ne reviendra pas en arrière. Les habitudes ont été impactées de manière profonde et structurelle.»
De nouvelles exigences de transparence et de proximité
Le constat est confirmé par Rémy Oudghiri, directeur général de Sociovision qui vient de conduire une étude comparant les impacts des principales crises récentes sur les comportements individuels. « Que l’on regarde la crise de 1973, celle de 2008 ou celle du Covid, on retrouve à chaque fois un phénomène de recentrage des attentes autour des besoins essentiels. Mais, pour la première fois durant cette crise, les Français ont été mis à l’arrêt chez eux et cela leur a donné l’occasion de réfléchir à leurs attentes de consommateur et d’apprendre à être plus exigeants. Cela aura des impacts majeurs qu’il est encore difficile de mesurer mais les affirmations grandissantes de sobriété ou de transparence que nous percevons vont dans ce sens. »
« S’il est encore difficile de mesurer l’ampleur des changements, il est sûr que le consommateur privilégie la transparence, la sobriété et l’achat fondamental et nécessaire »
Dans sa récente enquête « Tendances de consommation 2021 », le Credoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie) recoupe cette vision de comportements plus exigeants et rationalisés. « Nous percevons clairement une tendance à faire le tri dans ses habitudes en se réancrant autour d’achats structurants et fondamentaux », explique Pascale Hébel, directrice du pôle « Consommation » du Credoc. « Les achats liés au paraître, même dans des produits de santé, sont moins mis en avant. A l’inverse, nous constatons un développement d’acquisitions liées au domicile et au domestique avec notamment une hausse de 150% des ventes de peintures. »
« Une grande majorité des porteurs entend privilégier à l’avenir les produits fabriqués en France et apportant plus de confort visuel »
En optique, cet infléchissement en faveur d’un achat plus responsable et qui a du sens tant pour le consommateur que pour l’environnement économique et social se traduit par une hausse de l’intérêt pour les produits fabriqués en France : selon la dernière enquête menée par OpinionWay pour le compte du Gifo et du Silmo**, 77% des porteurs entendent privilégier à l’avenir les produits fabriqués en France et 74% des équipements innovants apportant plus de confort visuel. Le critère du prix poursuit en revanche son recul (-3 point par rapport à juin 2020).
La seconde main devient tendance
Signe de ce retour aux fondamentaux et à la sobriété : le boom inattendu du marché de l’occasion et de la seconde main, sur lequel même de grandes marques se positionnent désormais. Ikea, par exemple, a ouvert en France et en Belgique des corners dédiés à l’occasion sous le nom de « Circular Hub ». Marché réservé aux clientèles jeunes et modestes il y a 10 ans, il attire maintenant des diplômés avec des enjeux citoyens associés. Ceux qui achètent d’occasion sont aujourd’hui aussi souvent ceux qui achètent bio.
* Observatoire E.Leclerc des nouvelles consommations, septembre 2020
** Enquête OpinionWay réalisée en ligne auprès de 1 508 personnes au cours de la première semaine de février 2021
Olivier Dauvers, spécialiste de la consommation et de la distribution
Pascale Hébel,
directrice du pôle « Consommation »
du Credoc
Rémy Oudghiri, directeur général de Sociovision