Bien Vu a interviewé Guénaëlle Gault*, directrice générale de l’Obsoco (L’Observatoire Société et Consommation).
Customiser les couleurs de sa voiture et de son intérieur, son dernier meuble Ikea ou ses baskets… Cette pratique relève-t-elle d’une mode passagère ou d’un phénomène durable ?
Loin d’être un caprice, il s’agit d’une évolution profonde du rapport des clients à l’acte d’achat. Dans les pays dits « riches », la majeure partie de la population a atteint un seuil d’équipement, avec la constitution d’une large classe moyenne, au sein de laquelle des disparités subsistent, bien sûr. Cette consommation de masse a engendré une forme de standardisation, avec un modèle basé sur des appartenances collectives. Or, un contre-phénomène d’individualisation, de segmentation à outrance, s’impose dans notre société : sa traduction, c’est justement la customisation. Le consommateur veut pouvoir s’exprimer, quitte à participer à la conception de son achat. Il ne s’agit plus seulement d’acheter et de posséder, mais d’être et de faire. Il y a une quête de sens et d’affirmation personnelle dans cette démarche.
« La consommation de masse standardisée a provoqué un contre-phénomène d’individualisation. Pour le consommateur, la customisation permet de s’affirmer dans l’acte d’achat, via l’être et le faire »
Contrairement à la mode ou à l’automobile, le secteur de l’optique n’est pas encore concerné en profondeur par le phénomène de la customisation. Comment l’expliquez-vous ?
Par un certain conservatisme, même si l’exemple de Ray Ban (avec sa nouvelle application qui permet d’essayer virtuellement tout le catalogue de la marque et de personnaliser sa paire) laisse entendre qu’une offre customisée a toute sa place au sein de la filière optique. Par ailleurs, la lunette relève autant de l’équipement de la personne que de l’objet de santé : cela peut expliquer une certaine frilosité des consommateurs, et donc des acteurs, à l’idée de pouvoir concevoir soi-même sa paire.
« Les montures relèvent autant de la mode que de la santé. Ce qui peut expliquer la frilosité des porteurs comme des opticiens vis-à-vis de la customisation »
Par exemple, ma propre sœur, opticienne, a voulu se lancer sur ce créneau il y a quelques années, à Angers, sans rencontrer de succès. C’était probablement trop tôt et l’emplacement du magasin n’était pas forcément adapté. Une ville comme Paris, où les tendances se créent, avant d’influencer le reste du pays, se prête peut-être mieux à ce type de positionnement qui reste alternatif.
Passer d’une monture à l’autre, changer régulièrement de branches, de clips… Cette accumulation d’éléments, de pièces, n’irait-elle pas à rebours de la consommation durable et responsable ?
C’est un point important car les porteurs séduits par la customisation sont bien souvent sensibles aux enjeux d’écologie ou de responsabilité, tout en ayant les moyens de transformer leurs idéaux en actes d’achat. Les jeunes générations actuelles, en quête d’authenticité, de personnalisation et « éveillées » à ces grands enjeux, pourraient constituer une cible de choix.
« Pour les jeunes générations, la customisation doit aller de pair avec une consommation durable… Il faudrait donc y intégrer des éléments d’économie circulaire (montures recyclables). Improbable aujourd’hui… mais pourquoi pas demain ? »
Dans cette démarche de customisation, il me semble donc essentiel d’intégrer des éléments d’économie circulaire en ce qui concerne la recyclabilité des montures… Dont la création d’un marché fiable de l’occasion. En optique, cette évolution peut sembler improbable, mais il y a encore 20 ans, personne n’anticipait l’éclosion de plateformes comme Le Bon Coin ou Vinted… Ou encore que le e-commerce changerait le rapport des consommateurs aux supermarchés, à la faveur de l’épidémie de Covid-19. Il suffit parfois d’une crise écologique, économique ou sanitaire pour que les attentes des clients évoluent.
* Auteure de La customisation « de masse » : une question d’expérience client, dans le Cahier de tendances 2021 de la Fondation Jean Jaurès.
Guénaëlle Gault,
directrice générale de l’Obsoco (L’Observatoire Société et Consommation)