En annonçant le 24 octobre le lancement d’espaces de téléconsultation ophtalmologique dans 25 de ses magasins situés dans des déserts médicaux d’ici la fin de l’année, le groupe Afflelou prend les devants sur ce segment de la téléconsultation en points de vente d’optique. Un « service » auprès des clients/patients et une opportunité de croissance qui fait encore débat au sein de la profession…
Espace de téléconsultation dans un magasin Alain Afflelou
Le groupe Afflelou est la première enseigne à se lancer officiellement dans la mise en relation entre patients et ophtalmologistes via le déploiement d’espaces de téléconsultation (en partenariat avec Medadom) dans ses points de vente. Objectif pour le groupe : « préempter » ce segment et « offrir au client un accès rapide et simplifié à un praticien dans les zones de déserts médicaux (sans prise de RV et sans délai d’attente) », précise le communiqué de presse d’Afflelou, tout en respectant les réglementations médicales en vigueur et la totale indépendance entre opticiens et ophtalmologistes.
« En étant la première enseigne à lancer officiellement la téléconsultation en magasin d’optique, le groupe Afflelou prend les devants et préempte ce segment »
Donner un meilleur accès aux soins visuels
Sans aucun doute, ce service de téléconsultation en magasin répond à un vrai besoin. Le groupe Afflelou s’appuie sur une récente enquête d’Harris Interactive* pour le démontrer : « 76% des porteurs ont déjà rencontré des difficultés pour prendre rendez-vous rapidement chez un ophtalmologiste. »
« Présentée comme moyen de lutte contre les déserts médicaux, la solution de téléconsultation en magasin conforte l’image de l’opticien comme professionnel de santé »
Autre enseignement de cette étude : les patients ne semblent manifester aucune réticence vis-à-vis d’une pratique entrée dans les mœurs à laquelle ils font confiance lorsqu’elle s’applique à l’optique. Un intérêt que confirme le Baromètre 2022 de Gallileo Business Consulting** : 2/3 des porteurs trouvent très (22%) ou assez (41%) l’idée que certains opticiens puissent proposer au sein de leur magasin des consultations virtuelles à distance en télémédecine avec un ophtalmologiste (opticien qui réalise des examens de vue et les transmet à l’ophtalmologiste qui les valide et émet une prescription). 35% déclarent que, si un tel service était proposé par un opticien, ils se rendraient chez lui pour en bénéficier. Pour les opticiens, ce service de proximité et novateur les positionne comme des acteurs principaux du parcours de soins visuels et conforte leur statut de professionnels de santé : la téléconsultation en magasin est une étape qui s’insère dans la continuité des délégations de tâches. Elle « libère » du temps médical pour les praticiens de la zone concernée : l’ophtalmologiste à distance peut détecter de possibles pathologies et orienter le patient si besoin vers un cabinet pour une consultation en présentiel.
Un opticien annexe du cabinet d’ophtalmologiste ou professionnel de santé, porte d’entrée du parcours de soins ?
Les tests menés par le groupe Afflelou et d’autres enseignes écartent le risque de compérage : le patient n’a aucune obligation d’acheter dans le point de vente où il a effectué sa téléconsultation, en dépit d’un taux de conversion proche de 100%. Ce qui, d’ailleurs, rend complexe le modèle économique de l’espace de téléconsultation en magasin, compte tenu de l’investissement en matériel : de l’avis de ceux qui l’ont expérimenté, il n’y a pas de rentabilité en dessous d’une dizaine de téléconsultations par semaine (même si tout dépend évidemment de la taille du magasin).
« Un modèle qui ne fait pas l’unanimité et dont la rentabilité pose encore question »
Toutefois, pour certains opticiens hostiles à ce modèle (et pour le Syndicat des ophtalmologistes de France), l’argument de l’absence de compérage n’est pas suffisant : il est à craindre que le versant « professionnel de santé » de l’opticien ne soit là que pour « venir au secours » de son activité commerciale. Et ce au risque d’engendrer des conflits entre les opticiens et les ophtalmologistes de leur zone. Un point de vue clairement exprimé par la Fnof (Fédération nationale des opticiens de France), lors de son Congrès en 2022 : « ce système mercantile de téléconsultation en relation avec des cabinets d’ophtalmologie peu regardants a toutes les chances de raviver les tensions entre opticiens et ophtalmologistes », peut-on lire dans le rapport 2022 du syndicat. Celui-ci prône un système différent basé sur un opticien de santé, ayant accès à la primo-prescription, « gatekeeper*** » de la filière, susceptible d’orienter, dépister, sans pour autant diagnostiquer, pour que le patient ait une prise en charge la plus efficiente possible.
Renforcer le travail commun entre les 3 « O »
Alors la téléconsultation en magasin d’optique transforme-t-elle l’opticien en « annexe du cabinet de l’ophtalmologiste » ou, au contraire, conforte-t-elle l’opticien comme professionnel de santé de proximité » ? On le voit, le débat n’est pas tranché.
« La collaboration entre les 3 « O » va dans le sens de l’histoire »
Il est souhaitable en tout cas que son déploiement par des enseignes ne mette pas en danger les développements de la « collaboration » plus poussée entre les 3 « O ». Un travail en commun qui va dans le sens de l’histoire (lire interview Bien Vu novembre 2022, page 15), selon de nombreux économistes de la Santé, pour venir à bout des déserts médicaux. Interrogé dimanche 23 octobre sur BFMTV, François Braun, le ministre de la Santé, l’a confirmé : il faut former plus de médecins pour résoudre les problèmes d’accès aux soins. Mais à court et moyen terme, la solution viendra de la « libération » du temps médical avec le développement des assistants médicaux et la travail partagé avec les autres professionnels de santé.
La téléconsultation comme arme anti-déserts médicaux ? Pas encore…
En marge de ce débat, il est intéressant d’analyser les données de l’Assurance maladie, collectées dans le SNDS (Système national des données de santé) et publiées par Le Quotidien du Médecin en septembre dernier : en 2021, la téléconsultation comme remède aux déserts médicaux, apportant un service médical aux patients, restait peu ou pas développée. Elle fonctionne toujours davantage comme un simple service social destiné aux populations les plus jeunes, habitant dans des zones à forte démographie médicale :
- Sur les 15 départements où la téléconsultation est la plus élevée, 10 font partie des zones les mieux dotées en médecins (Paris, Bas-Rhin, Hauts-de-Seine, Val-de-Marne, Alpes-Maritimes, Yvelines, Val-d’Oise, Rhône, Hérault et Bouches-du-Rhône).
- Ceux où la téléconsultation est la moins pratiquée sont justement les départements considérés comme des déserts médicaux, la Creuse et le Lot, où la population est parmi les plus âgées de France, arrivant bons derniers.
- Sur 6,25 millions de téléconsultations en 2021, 75,8% ont été faites par des personnes de 20-39 ans, 10,2% par des 40-59 ans, 8,2% par des plus de 60 ans.
Il reste donc encore du chemin à faire pour que le boom des téléconsultations bénéficie aux populations qui en ont le plus besoin, celles qui vivent dans les déserts médicaux. L’avenir dira si les initiatives en optique auront accéléré cette évolution.
* Enquête Harris Interactive pour le groupe Afflelou sur « Les Français et les soins optiques » réalisée en ligne du 5 au 7 octobre sur un échantillon de 1 003 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus
** Baromètre Les Français et l’optique édition 2022 réalisé par Gallileo Business Consulting auprès de 5 000 porteurs de correction visuelle âgés de 18 ou plus, ayant effectué un achat de lunettes entre juillet 2021 et juillet 2022
*** Le gardien, la porte d’entrée