Souvent jugés versatiles et peu motivés, les jeunes diplômés en magasin revendiquent pourtant un attachement fort à la valeur travail et à leur parcours professionnel dans les enquêtes.
Pas facile d’être jeune diplômé dans le secteur de l’optique ! Alors qu’ils n’ont jamais été autant sollicités dans un marché du travail en tension récurrente, alors qu’ils n’ont jamais bénéficié d’autant d’attentions de la part d’employeurs qui multiplient les parcours d’intégration et les dispositifs d’« on boarding » pour assurer la meilleure entrée dans le métier, les jeunes diplômés n’ont jamais été… autant décriés dans leurs exigences et engagement dans leurs postes. Peu fiables, difficilement gérables, obsédés par une quête de sens souvent insondable…
Une génération qui « glisse entre les mains »
Une récente enquête conduite par l’Opcommerce en 2023 avec l’institut Ipsos* sur la Gen Z dans le secteur du commerce illustre l’ampleur de la fracture. 42% des managers du secteur disent cette génération difficile à gérer. Ils décrivent une jeunesse « qui leur glisse entre les mains » et affiche des exigences salariales souvent démesurées. 22% dénoncent même un « manque de professionnalisme ». Des récriminations qui font écho au désarroi de nombre de recruteurs face à des candidats qui veulent préserver leur vie privée et se montrent rétifs à des horaires étendus ou à tout management directif. « Tout cela me fait un peu rire, s’amuse Philippe Chastres, opticien propriétaire de 14 magasins en Alsace. Je suis quinqua et quand j’étais jeune, on disait à peu près la même chose de nous ! » « C’est une génération avec laquelle il est difficile d’avoir de la visibilité au-delà de 2 ans, tempère Fabienne Cailly, DRH Réseau chez Krys Group. Ce qui nous oblige à penser autrement nos accompagnements et nos démarches de fidélisation. »
Ces jeunes qui revendiquent la valeur travail
Le véritable paradoxe réside bien plus dans la réalité des aspirations de ces jeunes. On les dit désengagés, versatiles et démissionnaires. Eux clament… tout le contraire quand on les sonde ! Une enquête de Terra Nova et de l’Apec publiée début 2024** auprès de jeunes salariés de moins de 30 ans témoigne d’un attachement au travail exemplaire : 69% se disent en phase avec les organisations du travail, 60% satisfaits de leur rémunération – 4 points de plus que les 30-44 ans – et 40% acceptent les décisions hiérarchiques par principe… L’enquête de l’Opcommerce ne dit pas autre chose quand elle questionne la Gen Z : si 66% des étudiants du secteur mettent en avant la fameuse « quête de sens », ils ne sont plus que 47% à en parler quand ils sont en poste. Les facteurs principaux d’attachement au travail sont la bonne ambiance (61%), l’autonomie et la stabilité dans l’emploi (52%). 61% veulent évoluer vers des postes d’encadrement et un tiers veulent plus de responsabilités au quotidien. « Beaucoup restent motivés par des carrières de cadres ou de managers et le salaire n’est pas la revendication première, d’autant qu’ils valorisent d’autres formes de récompenses comme l’employabilité », souligne Trecy Dimonekene, en charge de l’étude pour l’Opcommerce. Et dans l’optique ? Là encore, les jeunes sont loin des préjugés qui les accompagnent. Une enquête interne chez Krys Group en atteste. « Nous avons interrogé près de 1 000 collaborateurs et quand on regarde les tranches d’âge, on se rend compte qu’il y a peu de différence dans la vision de l’engagement ou de l’esprit d’équipe », confirme Fabienne Cailly.
Repenser le management à l’ancienne pour sortir de l’impasse…
Quels leviers d’intégration et de valorisation activer dès lors pour sortir de ce qui apparaît bien comme une impasse ? L’enquête de l’Opcommerce ouvre des pistes en montrant les limites d’un management traditionnel, nourri de « réunionites » et d’objectifs. « Ces jeunes veulent être écoutés sur des sujets qui les concernent, explique Trecy Dimonekene. Cela se cristallise souvent sur l’organisation du temps de travail. Ils savent que les amplitudes horaires peuvent être contraignantes et l’assument mais ils veulent que la gestion des plannings devienne un vrai outil sur lequel on dialogue”». Fabienne Cailly mesure également ce besoin d’implication : « Ils portent plus d’idées nouvelles qu’on ne l’imagine. Nous travaillons de plus en plus à les écouter, à les inciter à innover et à remonter leurs idées – même quand elles nous bousculent.» La considération passe par la concertation et l’implication… mais aussi par la formation. Philippe Chastres, qui y dédie 8% à 12% de son CA, en atteste : « Trop souvent ces formations sont délivrées sans perspectives ni dialogue alors même qu’il y a une vraie appétence à apprendre. Nous construisons chaque parcours de manière individualisée. Quand les jeunes nous quittent prématurément, cet investissement est perdu… Mais former est toujours un pari sur l’avenir. »
Et si l’opticien de santé réconciliait les jeunes et les employeurs ?
« Il faut arrêter de remettre en question ces jeunes sans se remettre en question nous-mêmes, clame Hugues Verdier-Davioud, président de la Fnof (Fédération nationale des opticiens de France). Cette génération est motivée pour faire un métier orienté vers la santé et on ne peut pas la réduire à de la main-d’œuvre coincée dans une monotâche, sans superviseur, et dans un marché de dispensation d’ordonnances” »
Les choix croissants en sortie d’étude de l’exercice en cabinet d’ophtalmologie ou de postes d’optométristes confirment ce besoin affiché de mettre en pratique le savoir-faire paramédical au quotidien. « Ils portent souvent une vision forte du métier qui replace la dimension santé au cœur de l’exercice » témoigne Philippe Chastres. « A nous de prendre le relais de cette aspiration et de leur offrir une vision du métier engageante au-delà de 2030, ajoute Hugues Verdier-Davioud. La refonte des formations axée sur la santé sert d’aiguillon pour cela. Ils nous challengent vers une approche du métier plus novatrice et recentrée. Nous avons des perles entre les mains. A nous de répondre au défi – tout comme nous avons challengé nos aînés en notre temps. »
*Enquête auprès de 400 jeunes ayant eu au moins une expérience dans le commerce et 500 manageurs de proximité du secteur
**Enquête réalisée entre septembre et octobre 2023 auprès de 3 073 jeunes actifs de moins de 30 ans
Fabienne Cailly,
DRH Réseau chez Krys Group
Philippe Chastres,
opticien propriétaire de 14 magasins
en Alsace
Hugues Verdier-Davioud,
président de la Fnof
(Fédération nationale
des opticiens de France)