Avec une intensification et un renforcement des moyens des contrôles, les pouvoirs publics, qui ont récemment dévoilé les montants de la fraude à l’Assurance maladie en 2023 (en hausse de près de 50 %), affichent leur volonté de mener une lutte plus efficace. Quelles sont les bonnes stratégies à mettre en place ? Quel est le rôle des professionnels de santé dans cette lutte ?
Bien Vu a interrogé Maxence Bizien, directeur de l’Alfa (Agence de lutte contre la fraude à l’assurance)*.
Lors d’une conférence de presse en mars dernier, l’Assurance maladie a communiqué sur un montant record de fraudes détectées en 2023. En optique comme en audio, cette augmentation des pratiques frauduleuses est-elle imputable au 100 % Santé et à la « financiarisation » du système de santé ?
Dans ces 2 secteurs, le 100 % Santé a été un révélateur des problèmes sous-jacents au sein du système de santé, qui est, certes, l’un des meilleurs au monde mais qui est aussi fragile et complexe. Sa fragilité tient à l’absence de sécurité des paiements. D’un côté, les professionnels de santé ont le pouvoir de décaisser indirectement de l’argent ; c’est pourquoi ils représentent 80 % des fraudes en valeur. Et les assurés possèdent également, avec la carte Vitale, une forme de carte de paiement.
« Dans notre système de santé, il s’avère parfois difficile pour les patients de distinguer ce qui est autorisé de ce qui ne l’est pas »
Si des enquêtes récentes semblent montrer que notre « tolérance » collective au passage à l’acte de fraude s’est accrue, ce n’est pas la seule explication. En effet, notre système de santé est complexe et il s’avère parfois difficile pour les patients de distinguer ce qui est autorisé de ce qui ne l’est pas, mais aussi tout simplement de déterminer la pertinence des soins proposés. C’est d’autant plus vrai que, in fine, le patient paie très peu de sa poche au regard du coût réel des soins.
« Les fraudeurs ont en quelque sorte ‘’optimisé’’ et »industrialisé » les possibilités offertes par le 100 % Santé et la grande porosité entre l’optique et l’audio »
On en a un bon exemple en optique et en audio, avec des personnes installées dans des camions qui sillonnent les régions et délivrent des ordonnances postérieurement aux soins. Pour les soins ophtalmologiques, on constate aussi une réelle dérive de certains centres de santé. Dans ces 2 cas, le patient ne sait pas si les pratiques qu’on lui propose sont légales ou pas et si l’ensemble des examens prescrits est nécessaire.
Dans ce contexte, les fraudeurs ont en quelque sorte « optimisé » et « industrialisé » les possibilités offertes par le 100 % Santé et la grande porosité entre l’optique et l’audio. Pour le dire autrement, la petite minorité de professionnels fraudeurs a fait ses armes sur l’optique avant de l’appliquer à l’audio.
Face à ces phénomènes, quelles sont les stratégies pertinentes de lutte, selon vous ?
C’est d’abord aux pouvoirs publics de prendre le problème à bras-le-corps. Ils ont affiché leur volonté de lutter efficacement contre la fraude à travers une intensification des contrôles et un renforcement des moyens. L’Assurance maladie a érigé le département 93 comme un véritable laboratoire des techniques de fraude, car c’est là qu’on a commencé à observer cette porosité entre l’optique et l’audio.
« Les pouvoirs publics doivent mettre en œuvre de quoi mieux piloter le risque en amont… Et ce avec les professionnels de santé et les Ocam »
Mais les pouvoirs publics doivent aussi et avant tout s’attacher à rendre le parcours de soins et l’ensemble du système de santé plus compréhensibles pour les patients. Ils doivent également mettre en œuvre des mesures de prévention pour mieux piloter le risque en amont. Cela ne peut se faire qu’avec les Ocam et les professionnels de santé, car la fraude a aussi un impact sur leur activité en termes de résultats et donc de primes payées par leurs assurés, tandis qu’elle nuit à l’image des professionnels de santé. En audio, les syndicats professionnels se mobilisent. Il est impératif qu’ils le fassent aussi en optique. Le problème actuel de fraude peut être traité par le dialogue et un travail en commun entre l’Assurance maladie, les Ocam et les professionnels de santé.
En optique, les initiatives de blockchain qui sont « dans les tuyaux » pourraient-elles être une solution ?
La blockchain est une solution technique pertinente pour de nombreux cas d’usage en santé. C’est une technologie qui pourrait être utile à tout le monde, même si elle se révèle difficile à mettre en œuvre car elle doit réunir tous les acteurs concernés. Le véritable enjeu est donc sa gouvernance. C’est pour cela qu’il ne doit y en avoir qu’une, sous peine d’inefficacité. Il faut toujours se rappeler que les fraudeurs adorent les silos !
*L’Agence de lutte contre la fraude à l’assurance est une association loi 1901, dont l’objet est de promouvoir la lutte contre la fraude dans le secteur de l’assurance. Elle compte actuellement plus de 340 adhérents assureurs (assureurs, mutuelles, institutions de prévoyance).
Maxence Bizien,
directeur de l’Alfa
(Agence de lutte contre
la fraude à l’assurance)