Paradoxe en 2020 : malgré une récession sans précédent, le nombre de faillites d’entreprises – y compris dans le secteur optique – a chuté depuis le début de l’épidémie. Toutefois, cette accalmie, trompeuse, est sur le point de s’achever.
Bien Vu a interrogé Thierry Millon, directeur des études Altares Dun & Bradstreet, spécialisé dans l’information sur les entreprises.
Selon vos données, les défaillances seraient en croissance au 1er trimestre 2021 versus le 1er trimestre 2020. Comment l’expliquez-vous ?
Pour répondre à cette question, il faut revenir sur un début 2020 particulier. Gel de l’état de cessation des paiements au 12 mars 2020, fermeture temporaire des tribunaux de commerce, accompagnements financiers (PGE, reports de charges, chômage partiel…) et réglementaires (ordonnances modifiant le droit des entreprises en difficulté) : autant d’éléments qui ont donné de l’air à des structures, dont certains points de vente, fragilisées. Ils expliquent aussi la dynamique actuelle. Si on se penche sur les 2 dernières semaines de mars 2020 et 2021, le résultat est sans appel : une explosion (+ 150%) du nombre de défaillances, qui comprend évidemment une part de rattrapage. Bien sûr, il ne faut pas paniquer en raison du caractère singulier de ces 2 semaines. Néanmoins, il ne faut plus s’attendre, lors des mois à venir, à des baisses intenses de défaillances. D’ailleurs, certains signes étaient avant-coureurs : le taux de liquidations judiciaires est passé de 66% (moyenne constatée sur 20 ans) à 75% lors du 2e trimestre 2020, 76,5% début 2021, puis à 79% actuellement. Cela traduit la détresse profonde des entreprises en souffrance.
Dans ce contexte particulier, comment se portent les points de vente d’optique ?
Nous avons constaté 19 procédures (16 liquidations, 2 redressements judiciaires et 1 sauvegarde) lors du 1er trimestre 2021, contre 15 (12, 2 et 1) lors de la même période en 2020, soit une augmentation des défaillances de 26,7%. Plus préoccupant, les liquidations deviennent la norme, passant de 86% des défaillances lors des 3 premiers mois de 2020, à 89% actuellement.
« Pour les magasins d’optique en difficulté, la liquidation devient la norme en cas de défaillance et concerne toutes les régions et les types d’implantation »
Par ailleurs, si la moitié de ces structures ont moins de 5 ans, donc correspondent au profil de l’entreprise immature, les autres sont plus anciennes, ce qui est un peu plus inhabituel. 7 sociétés ont plus de 14 ans, une a été lancée dans les années 80 et la plus âgée, certes atypique, a été créée dans les années 60.
« Le rattrapage dans les procédures collectives qui a démarré touchera les points de vente qui ont une lecture trop optimiste de leur trésorerie, boostée artificiellement par les PGE »
Répartis aux 4 coins de la France, en centre-ville, en régions rurales comme en centre commercial, ces points de vente avaient pour point commun d’être en difficulté depuis longtemps : fonds propres négatifs, CA en recul, pertes régulières. Mais attention, ce “rattrapage” touchera des entreprises qui ont une lecture trop optimiste de leur trésorerie, boostée artificiellement par les PGE.
Evolution des défaillances en optique T1 2021 – T1 2020
2020 T1 | 2021 T1 | |
Défaillances | 15 | 19 (+26,7%) |
% liquidations judiciaires | 86% | 89% |
Source : Altares – crédit : Bien Vu
Cette tendance haussière est-elle condamnée à durer ?
Il s’agit surtout d’un retour progressif à la normale car les aides et les facilités de paiement – reports du remboursement des PGE et des prêts bancaires, annulation ou report du versement des charges locatives, patience de l’Urssaf – soutiennent les entreprises. Nous devrions donc passer par une stabilisation du nombre de défaillances (500 par semaine à l’heure actuelle, ndlr), avant une hausse vers un niveau habituel, autour de 1 100 à 1 200 hebdomadaires.
« La survie des commerces dépendra donc de leur capacité à avoir une clientèle fidèle et des partenaires financiers fiables, solvables, en ordre de marche »
La sortie de crise, avec une croissance estimée à 5%, soulagera les commerces, mais ceux-ci devront anticiper et ne pas se faire asphyxier… Les prêteurs prioriseront les entreprises solides, ce qui signifie que les points de vente en difficulté devront s’autofinancer. Après ces 12 mois marqués par une perfusion de prêts publics et privés, nous entrons dans une phase discriminante. Les différentes parties distingueront les entreprises qui méritent d’être soutenues de celles qui étaient, de toute façon, condamnées avant la crise. En clair, les sociétés qui étaient en souffrance avant le Covid-19 vont tomber de haut si elles n’ont pas profité des PGE pour corriger leurs problèmes structurels. Et plus largement, la survie des commerces dépendra de leur capacité à avoir une clientèle fidèle et des partenaires financiers fiables, solvables, en ordre de marche.
Thierry Millon,
directeur des études
Altares Dun & Bradstreet