La « seconde main » est une idée qui fait son chemin depuis quelque temps en optique, après avoir révolutionné le secteur du prêt-à-porter. En l’espace de 2 semaines, 3 enseignes, Ecouter Voir, Optic 2000 et Lissac, ont lancé des offres de montures solaires reconditionnées. Simple « greenwashing » ou initiatives en phase avec une aspiration croissante des porteurs et, surtout, destinées à s’étendre tant dans les magasins que sur le segment des montures optiques ?
On vous donne le contexte…
177 milliards de dollars : c’est le CA estimé du marché mondial de la mode d’occasion en 2022 (+28% par rapport à 2021), selon le dernier rapport de thredUP et du cabinet d’analyse GlobalData qui prévoit un doublement de ce chiffre à horizon 2027. D’ici 2024, les vêtements de « seconde main » représenteront 10% du marché mondial de l’habillement. En France, ce marché connaît la même croissance et devrait continuer à exploser dans les prochaines années. Il séduit déjà 4 consommateurs sur 10. Ce qui traduit un changement profond de paradigme dans les habitudes de consommation des Français, particulièrement chez les moins de 35 ans : la « seconde main » est devenue à la fois un moyen de dépenser moins, dans un contexte inflationniste qui perdure, et de lutter contre le gaspillage.
En optique, une bonne idée ?
Prix et économie circulaire sont en effet les 2 « nerfs de la guerre » du marché de l’occasion. Autant de raisons pour lesquelles l’optique ne peut échapper à cette tendance. Pour rappel, on estime à 100 millions le nombre de lunettes qui dorment encore dans les tiroirs des Français. La seconde main s’intègre donc parfaitement dans une alternative écologique à l’achat de montures neuves. Mais qu’en est-il de l’économie réalisée ? Elle reste de fait le critère primordial pour une grande majorité de porteurs : selon le Panorama du marché 2022 d’Arcane Research*, si 40% des porteurs envisagent l’achat d’une monture d’occasion, remise en état et reconditionnée par l’opticien, pour 58% c’est surtout l’argument économique qui prime avec l’acquisition d’une monture à prix très accessible. Pour 42%, la réduction de l’impact environnemental arrive en tête des motivations.
Les 3 enseignes qui viennent de lancer leur programme pilote d’offre de seconde main, avant leur déploiement dans l’ensemble des magasins de leur réseau courant 2024, l’ont bien compris. Chez Optic 2000 et Lissac, les porteurs sont incités à ramener leurs anciennes paires de lunettes en magasin contre un bon de réduction allant de 10 à 50 €. Les montures reconditionnées sont ensuite mises en vente à 39, 59 ou 89 € selon la marque. Écouter Voir propose, de son côté, en partenariat avec Zac (opticien spécialisé dans la collecte et la revalorisation des lunettes usagées, 65 000 montures reconditionnées en 2022) des modèles à 69 €.
Du solaire à l’équipement correcteur, un modèle encore à trouver
Compte tenu des prévisions de croissance du marché de la seconde main et des aspirations des porteurs en matière de consommation durable et d’engagement RSE des entreprises, nul doute que d’autres enseignes vont, elles aussi, se lancer sur ce créneau. Le Vinted ou Back Market de l’optique est-il pour autant pour demain ? A certaines conditions. Compte tenu des règles de remboursement des dispositifs optiques (nécessité d’un code LPP), ce marché des modèles reconditionnés concerne les montures solaires pour le moment. Ecouter Voir propose certes une possibilité « d’une mise à la vue » (remboursement des verres correcteurs). « Nous souhaitons donner une nouvelle vie aux montures solaires dans un premier temps, puis à toutes les lunettes très rapidement », affirme, de son côté, Benoît Jaubert, directeur général du groupement Optic 2000. Les choses pourraient évoluer : signe des temps, les pouvoirs publics ont émis l’hypothèse d’une introduction de montures « seconde main » au sein du panier A pour « favoriser l’économie circulaire ». Proposition irréaliste sans revalorisation du prix de limite de vente, étant donné le prix de revient d’un reconditionnement. Mais les Ocam pourraient changer la donne, s’il décident de s’intéresser à ce marché.
Reste à savoir si les porteurs vont vraiment modifier leur comportement et traduire en actes d’achat en magasin leurs attentes d’une consommation à la fois accessible et durable. Par ailleurs, introduire la logique d’économie circulaire en optique n’a de véritable sens que si les fabricants et les opticiens repensent tout le modèle de production et de consommation des montures : en privilégiant des équipements durables, en produisant moins mais mieux (moins de surproduction, de stock, d’invendus, de lunettes « inutiles » à recycler…), en proposant aussi plus de réparations… Des jalons sont posés, mais le chemin est encore long pour que le développement de l’économie circulaire s’accélère au sein de la filière optique.
C’est à toute la filière de s’emparer de ce sujet et de définir un cadre pour une véritable transformation.
*Lunettes de vue – Panorama du marché – Arcane Research 2022