Hors de la digitalisation, point de salut pour les commerces de proximité ? A l’heure du 2e confinement, le gouvernement les incite fortement à se convertir au numérique, accélérant une tendance de fond préexistant à la crise sanitaire. Que digitaliser quand on est opticien ? Et si le digital, paradoxalement, mettait en évidence qu’on ne peut se passer du magasin physique ?
Avec les 2 confinements, e-commerce et digital se sont installés dans les habitudes de consommation de tous les Français, toutes catégories confondues. Pourtant, selon la Fevad (Fédération du e-commerce et de la vente à distance)*, au 2e trimestre 2020, les ventes en ligne n’ont progressé que de +5,3%. Une croissance inférieure à celle enregistrée à la même période en 2019 (+12,1%), en raison de l’effondrement des ventes de services (voyages, etc.). L’e-commerce de produits a néanmoins compensé ce fort recul lié à la crise sanitaire. Mieux, les ventes web des enseignes magasins ont explosé, affichant une hausse de +83%. « La vente en ligne apparaît ainsi comme un levier de la reprise économique qui permet de répondre aux nouveaux comportements de consommation issus de la crise », explique la Fevad.
Un constat que ne partagent pas pourtant les opticiens présents sur le net : « Sur nos 2 activités de vente en ligne, Direct Optic et lentillesmoinscheres.com, nous avons observé une augmentation dès le premier confinement, mais nous sommes loin de l’explosion », analyse Karim Khouider, fondateur de Direct Optic et directeur digital & e-commerce du groupe Acuitis, qui a racheté il y a 2 ans le site et les 10 magasins Direct Optic. On ne doit donc pas s’attendre à une migration des porteurs vers le web. « Même si la part des acheteurs en ligne de lentilles est plus importante, les habitudes des porteurs n’ont pas vraiment changé avec la crise sanitaire », constate Karim Khouider.
« Les habitudes des porteurs n’ont pas vraiment changé, même en contactologie. Nous sommes loin de l’explosion des activités de vente en ligne »
Même observation chez Nicolas Archimbaud, opticien indépendant, propriétaire de 2 magasins à Marseille, qui a fait de son site web, créé il y a 2 ans, la « pierre angulaire » de son concept global : « Même en 2020, le CA généré par le site ne représente que 3,3% du CA de mes 2 magasins. Autant dire qu’il reste marginal. » Un CA additionnel, certes, mais qui a nécessité de lourds investissements et mobilise au sein de l’équipe un salarié à mi-temps.
« En novembre 2020, le site et les magasins Sensee ont été fermés, comme un symbole de l’échec des pure players en optique »
Pour le moment, et en dépit de la crise sanitaire, pas de menace donc d’une bascule du magasin vers le digital. Sachant qu’en 2019, les achats sur Internet d’équipements de lunettes ou de lentilles de contact représentaient seulement 7% des ventes en ligne en France selon le baromètre de référence CSA/ Fevad**, soit moins que les ventes de médicaments sans ordonnance (10%).
De ce point de vue, le constat d’un échec des pure players en optique est toujours d’actualité. Avec comme symbole, la décision d’Acuitis de fermer le site et les magasins Sensee début novembre 2020, que l’enseigne fondée par Daniel et Jonathan Abittan avait rachetés en tout début d’année.
Digitaliser pour accompagner l’activité en magasin
« Communication, prise de rendez-vous, approfondissement de la relation client : la digitalisation n’a qu’une finalité, le drive-to-store »
Enrichir le lien avec les clients
« Le digital enrichit la relation en magasin au lieu de l’appauvrir »
« Le digital nous permet de préparer le passage en magasin, de personnaliser le plus possible la relation client au moment du contact physique et de mettre en place un vrai suivi individualisé », ajoute Karim Khouider.
Une logique qui conduit progressivement toutes les enseignes à booster leur site pour accroître le trafic vers l’ensemble de leurs magasins et fidéliser leur clientèle. Krys Group refond ainsi les sites de ses 3 enseignes (Krys, Vision Plus, Lynx) pour promouvoir « un parcours d’achat unifié ». Concrètement, les clients commandent leurs produits sur le net, se les font livrer à domicile ou en magasin, ont accès à un stock unifié (disponibilité dans un, plusieurs magasins ou en entrepôt) et à leur historique d’achat quel que soit l’opticien où ils ont acheté leur dernier équipement.
« Jouer vraiment la synergie entre les 2 canaux et miser en magasin sur le lien social »
Le risque demeure néanmoins qu’à trop miser sur ce lien digital avec les porteurs, les opticiens appauvrissent une relation qui n’a lieu en moyenne qu’une fois tous les 3 ans et, en quelque sorte, « cassent » toutes les règles du commerce traditionnel. Pour l’écarter, vous avez tout intérêt à jouer la synergie entre les deux canaux. Et à miser en magasin sur l’humain, le conseil, le lien social. Autant de dimensions dont le numérique est incapable.
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Des aides gouvernementales pour se digitaliser
Pour accompagner les commerces de proximité à se convertir au digital, le gouvernement a annoncé la création d’un fonds de 100 millions €. En parallèle, la plateforme clique-mon-commerce.gouv.fr propose des solutions numériques à destination des petites entreprises, labellisées par le gouvernement, pour créer un site web, mettre en place une solution de logistique/livraison ou de paiement à distance, rejoindre une place de marché en ligne mettant en avant les commerces de proximité.
* Etude Bilan du e-commerce au 2e trimestre 2020, Fevad, 15 septembre 2020
** Baromètre Fevad / Médiamétrie sur les nouvelles tendances de consommation sur internet, février 2020
*** Baromètre 2020 Gallileo Business Consulting, enquête réalisée sur un échantillon interrogé entre septembre et octobre 2020 de 4 284 porteurs de 18 ans ou plus, ayant effectué un achat de lunettes entre juillet 2019 et septembre 2020
Nicolas Archimbaud,
opticien indépendant, propriétaire de 2 magasins à Marseille et du site archimbaudopticien.com
Karim Khouider,
fondateur de Direct Optic et directeur digital & e-commerce du groupe Acuitis