Le redémarrage de votre activité dépend en partie du nombre d’ordonnances en circulation. Or le confinement a entraîné une très forte baisse des consultations dans la quasi-totalité des cabinets d’ophtalmologistes (La pénurie des ordonnances pèse sur la reprise). Une situation qui pourrait néanmoins donner un coup d’accélérateur à une évolution positive de l’exercice du métier.
« Dans une lettre que nous avons signée conjointement avec la Fnof (Fédération nationale des opticiens de France), nous avons alerté les pouvoirs publics sur la situation d’urgence que traverse la filière visuelle dans son ensemble », indique André Balbi, président du Rof (Rassemblement des opticiens de France). « Le constat est simple : 5 millions de consultations chez les ophtalmologistes n’ont pas été effectuées pendant les 2 mois de confinement. Et dans les mois à venir, étant donné les règles de sécurité sanitaire et l’inquiétude des patients à venir consulter, l’activité des cabinets ne reprendra pas à 100%. » Parmi ces 5 millions de consultations, toutes n’ont pas donné lieu à une prescription d’équipements optiques, évidemment. Il n’empêche que cette « pénurie » d’ordonnances est réelle et pénalise la reprise de l’activité en magasin, même s’il existe un grand nombre de prescriptions « dans les tiroirs », compte tenu du délai moyen de 6 mois entre la consultation chez l’ophtalmologiste et la visite dans les points de vente. Et cette situation renforce le problème chronique d’accès « fluide » aux soins optiques et à la correction visuelle. Or la période nécessite de prendre des mesures fortes et incite à mettre en place des solutions rapides et efficaces.
« Parmi les 5 millions de consultations chez l’ophtalmologiste, toutes n’ont pas donné lieu à une prescription optique, mais la pénurie d’ordonnances est réelle et pénalise la reprise de l’activité »
Augmenter le taux de renouvellement directement chez l’opticien
« Partant de ce constat d’urgence, nous pensons que l’opticien peut jouer un rôle de premier relais. Ce que lui permet déjà de faire le décret Opticiens de 2016 avec le renouvellement d’équipement sur la base d’une ordonnance valide (1 an, 3 ans et 5 ans en fonction de l’âge) », poursuit André Balbi. Ces possibilités offertes par le décret sont largement sous-exploitées à l’heure actuelle : selon l’Observatoire Gallileo 2019, seuls 11% des clients y ont recours. Un pourcentage qui correspond aux conclusions d’une enquête du Snof (Syndicat national des ophtalmologistes de France), rendue publique en mai 2019 : « Aujourd’hui, 15% des lunettes seraient renouvelées directement chez l’opticien, et 20% de celles-ci seraient adaptées par lui au plan réfraction. »
« Les possibilités offertes par le décret de 2016 sont largement sous-exploitées : 11% seulement des porteurs renouvellent leur équipement directement chez l’opticien »
« Activer » en magasin le renouvellement sur la base d’une ordonnance valide est donc un levier indispensable pour la reprise. Mais les porteurs ont peu connaissance de cette option. Et se pose le problème de sa communication pour le moment interdite en dehors du magasin. Lever ce verrou est l’une des pistes de réflexion suivies par les syndicats, le Synom (Syndicat national des centres d’optique mutualistes) au premier chef.
Des mesures à la hauteur de l’état d’urgence
« Nous sommes convaincus qu’il faut un « plan Marshall » pour la filière visuelle. Et de ce fait nous étudions toutes les pistes possibles », déclare André Balbi. Doit-on prôner la prolongation de la durée de validité des ordonnances de 2 ans ? « Mesure inepte et inutile », s’insurge Alain Gerbel, président de la Fnof. « Elle n’a de sens que si elle permet de diminuer la fréquence de renouvellement. Or celle-ci est actuellement un peu en dessous de 3 ans. D’autre part, cette mesure ne peut pas être rétroactive. Elle ne s’appliquerait que pour les ordonnances à venir et ne répond pas à l’urgence. » Le Rof n’est pas loin de partager cette analyse : « Cela fait partie des pistes à creuser. Mais elle ne serait efficace qu’à long terme. Toutes les ordonnances d’unifocaux actuelles sont valables au moins jusqu’en 2021 ou ont déjà été renouvelées », souligne André Balbi. Autre mesure dérogatoire possible : donner la possibilité à l’opticien d’équiper en progressif un primo-presbyte amétrope et porteur d’unifocaux de moins de 47 ans sur la base de son ordonnance valide pendant 5 ans.
« Prolonger de 2 ans la durée de validité des ordonnances est une piste à creuser mais efficace seulement sur le long terme »
« A situation d’urgence, mesure d’urgence », martèle Alain Gerbel. Qui milite pour la délivrance d’équipement sans ordonnance. « Selon l’article D 4362-13 du code de la Sécurité sociale, vous avez le droit de délivrer dans l’urgence. C’est bien la situation dans laquelle nous sommes : il s’agit de répondre aux besoins visuels différés pendant le confinement et de rendre la vue. Cette délivrance se ferait sans remboursement, ce qui supprimerait votre dépendance vis-à-vis des Ocam. »
« La délivrance sans ordonnance valide, non remboursée, repose la question de l’accès équitable de tous aux soins visuels »
Cette possibilité légale pourrait faire l’objet d’un exercice dérogatoire pendant une durée à déterminer par les pouvoirs publics : 6, 12 ou 18 mois. A l’instar de ce qui s’est fait en pharmacie depuis la mi-mars où les officines peuvent dispenser les médicaments garantissant la poursuite du traitement, lorsque la durée de validité d’une ordonnance renouvelable est expirée. Dans le cas des pharmaciens, cependant, les médicaments ainsi délivrés font l’objet d’une prise en charge. Pour le Rof, cette question du remboursement reste centrale. « Avec ces 2 mois de confinement, il y a effectivement des millions de Français qui sont contraints de renoncer aux soins visuels », confirme André Balbi. « Mais cet exercice dérogatoire n’est envisageable que s’il y a une prise en charge par la Sécurité sociale et les Ocam, afin de garantir un accès équitable à ces équipements ainsi délivrés. »
Pour le moment, les pouvoirs publics n’ont pas donné de réponses au courrier des syndicats. Les pistes pour soutenir l’activité des opticiens et garantir les soins visuels de tous les Français sont néanmoins sur la table. Pour les syndicats, c’est au ministère de la Santé de prendre ses responsabilités et de trancher. Il devrait le faire en prenant en compte les conclusions toujours attendues du rapport de l’Igas sur l’évolution du cadre réglementaire relatif au renouvellement des équipements optiques et la réforme de la formation. De ce point de vue, la crise actuelle, en mettant en évidence les difficultés chroniques d’accès équitable aux soins optiques, pourra être le catalyseur d’une nécessaire évolution de la filière visuelle.
André Balbi,
président du Rof
(Rassemblement des opticiens de France)
Alain Gerbel,
président de la Fnof
(Fédération nationale des opticiens de France)