Avec un recul de -5 % seulement en juin par rapport à la normale, la consommation est repartie et la reprise est au rendez-vous dans les magasins d’optique. Mais sa réussite et sa pérennité dépendent également d’une bonne utilisation des aides aux trésoreries dans les mois à venir.
Bien Vu a interrogé Pierre Sabatier, économiste et prospectiviste, directeur du cabinet d’analyse et de conjoncture Primeview.
Les activités de services et de commerce de détail ont-elles été particulièrement fragilisées par la crise sanitaire ?
On sort d’une décennie facile où les taux étaient si bas qu’ils permettaient d’emprunter aisément et de s’inscrire dans des projections de CA optimistes. L’arrêt quasi généralisé de l’activité économique, synonyme de perte de revenu sèche pour certains ménages, remet en cause les prévisions de CA sur lesquelles de nombreux modèles de développement s’appuyaient. En particulier dans le secteur des services où beaucoup de besoins peuvent être considérés comme accessoires et risquent de souffrir de la perte de revenu engendrée.
Vous avez appelé dès les premières semaines à un effort massif de soutien aux trésoreries des entreprises. Les PGE débloqués ont-ils été salutaires ?
Bien sûr. Ils ont permis d’éviter la crise brutale et massive de trésorerie qui menaçait. C’était la seule chose à faire – et on ne peut que s’en féliciter.
« Le remboursement des emprunts supposera un CA suffisant pour absorber et les frais courants et les traites »
Mais se pose aujourd’hui la question de la solvabilité à moyen terme des entreprises qui empruntent ces fonds. Car le stock de dettes augmente avec les PGE dans des proportions certaines. Or les entreprises qui contractent ce type d’emprunts sont souvent celles qui sont déjà significativement endettées. Leur remboursement supposera de rétablir un CA suffisant pour absorber et les frais courants et ces traites. Certes, la dynamique de rattrapage actuelle de l’économie peut inciter à un certain optimisme. Il faut toutefois s’attendre dans les mois à venir à de nouveaux comportements de consommation et nombre d’entreprises devront investir pour adapter leurs gammes de services proposés.
Le taux d’intérêt réduit PGE ne préserve-t-il pas du risque d’insolvabilité ?
Cela ne signifie pas que l’argent est gratuit. Et ne doit certainement pas inciter à le consommer trop rapidement. La bonne utilisation de ces emprunts s’avérera essentielle pour préserver dans les mois à venir les marges de manœuvre nécessaires au rétablissement de l’activité. La solvabilité n’est pas qu’une affaire de taux d’intérêts. Elle recouvre d’abord un enjeu de valorisation des actifs et d’investissements bien pensés dans un contexte où il va falloir s’adapter vite et régulièrement.
Les patrons de TPE et PME vous paraissent-ils à même de relever un tel défi dans le contexte actuel ?
C’est toute la question. Il y aura une sélection naturelle entre les entreprises qui réussiront à passer le cap et les autres.
« La mise en place d’un vrai dispositif d’accompagnement des chefs d’entreprise de PME et TPE est nécessaire pour réussir la phase de déconfinement »
Mais la réussite de cette phase de déconfinement appelle aussi, après un premier temps d’investissement massif, à la mise en place d’un vrai dispositif d’accompagnement pour épauler les chefs d’entreprise de PME et TPE. Beaucoup n’ont pas les compétences suffisantes pour élaborer des dynamiques commerciales et marketing adaptées à un environnement incertain, des stratégies de financement solides avec des stocks de dettes alourdis et anticiper les rouages d’une économie de plus en plus complexe. Ils n’ont souvent que leur comptable pour cela… Ce dernier est très utile pour informer sur les aides et démarches associées aux différents dispositifs disponibles, mais pas forcément pour penser à une valorisation d’actifs à même de faire rentrer de la trésorerie pour compenser les pertes et investir.
Les banques de détail sont-elles en mesure d’assumer ce rôle ?
Un dialogue renforcé avec les banques me paraît souhaitable pour aider les entrepreneurs à bien gérer leurs emprunts et anticiper leurs risques d’insolvabilité.
Ce sera l’un des enjeux clés des mois à venir. Cela suppose que les banques puissent se recentrer sur leur cœur de métier et réinvestir pleinement leurs missions de conseil. Le banquier a l’expertise de l’entreprise et du secteur. Il devrait pouvoir accompagner les PME et TPE. Or trop souvent, il est dépourvu des leviers de décision nécessaires, cantonné à la vente de produits et une appréciation quantitative des situations comptables des clients. Il y a un tout un travail d’agilité à mettre en place dans l’organisation des établissements bancaires. Ils doivent rendre aux agences l’autonomie et l’expertise nécessaires pour être les interlocuteurs de proximité efficaces dont les chefs d’entreprise ont besoin afin de faire bon usage de ces emprunts.
Interview réalisée par Régis de Closets
Pierre Sabatier