Les magasins d’optique ont connu moins de défaillances en 2020 par rapport aux années précédentes en dépit des 2 confinements. Une résistance à la crise qui doit beaucoup à la grande capacité d’adaptation du secteur mais aussi, pour une large part, aux dispositifs de soutien mis en place par le gouvernement. En 2021, il faut donc s’attendre à un « retour de bâton ».
Bien Vu a interviewé Thierry Millon, directeur des études Altares Dun & Bradstreet, spécialisé dans l’information sur les entreprises.
Selon vos données, seulement une cinquantaine de points de vente devrait subir une défaillance en 2020, contre 103 en 2019 et 128 en 2018, et ce malgré la crise sanitaire. Comment pouvez-vous l’expliquer ?
Plusieurs paramètres expliquent cette résilience. Pour commencer, l’optique est un secteur où les marges restent importantes, même si la réforme du 100% Santé pourrait, en partie, remettre en cause cet atout. Ensuite, les opticiens ont su s’adapter à la crise pandémique, par exemple en proposant un système intelligent de prise de rendez-vous, qui a permis de mieux gérer les flux, de consacrer plus de temps aux clients après le déconfinement et de favoriser une augmentation du panier moyen. Cela a accentué le « rattrapage » constaté lors du déconfinement et depuis la fin de l’été.
Toutefois, les mécanismes de protection activés par l’Etat (chômage partiel, PGE, etc.) ont largement contribué à cette résistance. Et ils ne dureront pas éternellement. Lorsque ce parachute ne sera plus actif, les points de vente en manque de trésorerie ou faisant face à une forte concurrence risquent de souffrir en 2021, voire au-delà. Il va donc y avoir un effet « rebond », mais par le bas, avec la défaillance de magasins maintenus en vie artificiellement.
Dans quelle mesure les points de vente peuvent-ils anticiper cette période délicate ?
Déjà, une gouvernance forte, au quotidien, en matière de gestion financière, RH et stocks, a fortiori pour un opticien tenant plusieurs points de vente. La pérennité se fera sur leur capacité à activer la clientèle de leur zone de chalandise, notamment dans des villes où la densité d’opticiens est importante. Dans les régions moins peuplées et moins aisées, les Français risquent de favoriser les modèles présentant un reste à charge faible, voire nul. Il faut donc espérer que les Ocam jouent le jeu. Ce qui n’a pas été le cas jusqu’ici, puisqu’ils continuent d’exiger la transmission des codes LPP détaillés et d’autres données de santé pour les prises en charge et, ce, malgré l’avis de la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) et de la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés).
« Activer la clientèle de sa zone de chalandise et assurer une gouvernance rigoureuse du magasin »
Ensuite, face aux difficultés, la clé, c’est le « réalisme » : il vaut mieux se placer en redressement judiciaire plutôt que d’attendre et de n’avoir pas d’autre choix que la liquidation judiciaire ! D’autant que le marché français de l’optique, malgré sa résilience, n’est pas encore à maturité… Comme le prouve, même si le parc global de magasins à continuer à croître, la baisse du nombre de créations annuelles de points de vente, passées de 730 entre 2010 – 2013, à 650 entre 2014 – 2017 puis à 570 en 2018 et 2019.
Selon vous, quel sera l’impact réel de cette crise sanitaire, et économique, sur les points de vente ?
Pour comprendre l’impact de cette crise sanitaire, il est intéressant de se référer à la crise des « subprimes ». Officiellement, cette crise financière s’est déroulée en 2007 et 2008. Mais, en réalité, ses conséquences sur la vie des entreprises ont été ressenties plus tardivement, à partir des années 2010, le temps que la récession se « mette en place ». Ainsi, dans le cas des opticiens, on a constaté 80 défaillances en 2008, puis une centaine entre 2012 et 2015, avant une nette augmentation entre 2016 et 2018. Bien sûr, on peut y voir la “régulation naturelle” d’une profession qui a connu une forte croissance depuis les années 90, mais aussi les effets souvent différés des crises économiques, qu’elles soient structurelles ou conjoncturelles, comme ici avec la Covid-19. La pandémie aura donc un impact évident sur 2021, mais obligatoirement aussi au-delà.
« Si le secteur optique s’en tire mieux que d’autres, tous les magasins ne passeront pas entre les gouttes »
Pouvez-vous estimer le nombre de points de vente qui vont connaître une défaillance ?
A l’heure actuelle, les défaillances des magasins d’optique représentent entre 0,2 et 0,22% des défaillances nationales : cette donnée est d’ailleurs stable depuis plusieurs années. Or, d’après nos projections, la crise sanitaire et la pandémie pourraient contraindre à la défaillance environ 80 000 entreprises, 60 000 étant une fourchette basse. Autrement dit, il pourrait y avoir entre 130 et 170 défaillances « optiques » en 2021, sachant que nous ignorons encore quel sera l’impact économique de ce second confinement et que nous ne savons pas quelle sera la stratégie du gouvernement lors des mois à venir. Bref, même si l’optique s’en tire bien mieux que d’autres secteurs, elle souffrira, elle aussi. Tous les points de vente ne passeront pas entre les gouttes.
Thierry Millon,
directeur des études Altares Dun & Bradstreet
Un modèle de gestion efficace qui limite le risque de défaillances
Selon le panel 2020 des Moyennes professionnelles du cabinet KPMG*, les opticiens ont affronté la crise sanitaire avec des modèles de gestion plutôt solides. Le taux de résultat (qui mesure le pourcentage du prix de vente demeurant une fois l’ensemble des charges réglées) s’établit en 2019 à 6,93% (en hausse de 0,02 par rapport à 2018). A titre de comparaison, ce taux s’élève à 5,8% pour les pharmacies d’officine. Si le taux de marge brute s’est à peine érodé (63,06%, soit -0,21 point par rapport à 2018), la trésorerie moyenne a augmenté légèrement de 2,91%. Autant d’éléments qui confirment l’efficacité du modèle de gestion des opticiens. Et qui consolident les capacités de l’optique à résister à la crise mieux que d’autres secteurs. Selon l’indicateur Xerfi Risk**, le risque de défaillances des entreprises d’optique en 2020 s’établira à 29,8 (en hausse de près de 7 points vs 2019) et à 34,1 en 2021, ce qui reste un niveau de défaillances limité. Une note comprise entre 21 et 40 signifie que la probabilité de défaut reste acceptable.
* Le panel 2020 des Moyennes professionnelles KPMG intègre 92 sociétés d’optique comptant un ou plusieurs magasins. Il comprend 62% d’opticiens franchisés ou sous enseignes et 15% en zone rurale. 30% ont réalisé un CA supérieur à 800 000 € et 21% un CA inférieur à 300 000 €.
** L’indicateur Xerfi Risk synthétise l’analyse de Xerfi sur le secteur et restitue une note correspondant à une probabilité de défaillance. Elle correspond au rapport entre le nombre d’entreprises défaillantes et le nombre total d’entreprises.