Et si la crise actuelle avait pour principal effet de mieux valoriser votre image auprès des consommateurs ? Depuis plusieurs années, elle semble souffrir d’un réel paradoxe. D’un côté, à cause des discours pointant systématiquement le prix élevé des équipements, le trop grand nombre d’opticiens dans les zones de chalandise, les « marges » excessives, les consommateurs perçoivent globalement l’optique comme un « commerce » plutôt opaque. De l’autre, le niveau de confiance de chaque client vis-à-vis de son opticien et l’attachement au lien qui les unit n’ont cessé de croître, selon le dernier Baromètre Gallileo Business Consulting.
Et si tout cela était en train de changer à la faveur des 2 confinements ? En mars-avril dernier, vos magasins ont fait partie des commerces jugés « essentiels ». Répondant incontestablement à un besoin de santé visuelle que vous avez assumé, pour un certain nombre, en tant que professionnel de santé, et à un service fondamental qui a représenté aussi un engagement social. Au-delà de l’inflexion vers l’opticien professionnel de santé que cela a induit, c’est bien votre image même en tant que commerçant qui s’est modifiée ainsi cette année.
Par solidarité avec les commerçants qui ne pouvaient ouvrir en novembre, certains d’entre vous ont hébergé leurs activités. Comme Agathe Baudel, propriétaire de L’Atelier d’Agathe à Bergues et Rosendaël (59). Un engagement ponctuel mais qui ne se limite pas au court terme : « Nous avons rempli notre rôle d’entraide auprès de notre collègue libraire qui a dû fermer. Et cette action s’insère dans une perspective plus large de redynamisation du centre-ville, indispensable pour les habitants de toutes les communes françaises », explique-t-elle.
« Un opticien assumant sa responsabilité sociétale vis-à-vis de ses clients, acteur économique et social de poids dans son environnement »
Un opticien, acteur de la revitalisation des centres urbains et engagé socialement ? C’est en tout cas la conviction de Stéphan Lemaire, propriétaire du magasin La Lunette rouge, dans le nouveau quartier Martin Luther King à Paris (75). « J’ai fait le choix de ce métier par passion et avec l’objectif premier d’assumer un rôle dans mon quartier et une responsabilité sociale. Cela se traduit de multiples manières : en participant à l’association des nouveaux habitants de mon quartier parisien qui a gardé une grande mixité, en sponsorisant les équipes féminines et juniors de clubs environnants, en aidant à l’insertion via un partenariat avec Emmaüs, en proposant enfin des solutions de qualité à des prix très bas pour mes clients en difficulté mais qui ne bénéficient pas de la C2S (ex-CMU). »
Une approche du rôle de l’opticien que Stéphan Lemaire souhaiterait voir partager davantage dans le secteur. « Nous avons une carte à jouer sur ce terrain, au premier chef les opticiens indépendants. Ce n’est pas sur le prix que nous pouvons espérer garder notre compétitivité. Mais bien en étant acteur économique et social de poids dans notre environnement. Cela répond à une forte demande des consommateurs, en particulier des plus jeunes. Et il est important pour nous tous de prendre ce virage maintenant. Attention de ne pas nous contenter de profiter en 2021 de la montée ce que l’on appelle le « care ». Les clients, plus soucieux de leur santé désormais, vont pousser davantage la porte des opticiens. Soyons en mesure de répondre à tous leurs besoins et leurs aspirations, à mieux assumer notre rôle citoyen. »
« Le commerçant de proximité s’est transformé en acteur local essentiel, composant majeur du tissu économique national »
Mais vous n’êtes pas les seuls à bénéficier de ce changement d’image. « Jusqu’à maintenant le commerçant, petit entrepreneur, était peu valorisé », analyse Sophie Boutillier, directrice de recherches en économie, docteur en sociologie, qui dirige l’équipe « Entreprise, Travail et Entrepreneur » du Laboratoire de recherche sur l’industrie et l’innovation de l’université du Littoral-Côte d’Opale. « Mais c’est en train d’évoluer. D’une part, parce que la ‘‘précarisation’’ du salariat a conduit à redorer l’image de l’auto-entrepreneur. De l’autre, parce que tout ce qui est local, circuit court, proximité rencontre les aspirations profondes des consommateurs pour construire un monde plus humain, moins consumériste, plus axé sur le service. »
« Plus inclusifs, plus souples, plus créatifs, davantage pourvoyeurs d’emploi, les commerces de proximité assument un rôle de ‘‘tampon’’ pendant les crises »
Et de fait, le « petit entrepreneur commerçant » qui peinait à trouver une place valorisée dans l’imaginaire collectif et auprès des économistes face aux modèles dominants des grands groupes ou des start-up s’est transformé en acteur économique local essentiel, un composant majeur du tissu économique national. « On assiste à un changement de représentation des TPE et des commerçants : ils sont plus inclusifs avec une part croissante de femmes, créatrices d’entreprise. Créatifs, souples et capables de développer sur le terrain des initiatives innovantes, davantage pourvoyeurs d’emploi alors que l’insertion dans le marché du travail devient plus difficile », souligne Sophie Boutillier.
« Le commerçant de proximité suscite, plus que les grosses structures, la confiance »
Ce « renouveau » de l’image du commerce de proximité ne date pas de 2020. Progressivement, on est passé du « petit commerçant » souvent décrié à l’entrepreneur local, authentique, en qui on peut faire confiance, en tout cas plus qu’aux grosses structures. Mais ce que la crise a particulièrement mis en évidence, c’est la fonction sociale locale du petit commerce. Les 2 confinements ont cruellement rappelé à tous les Français l’importance du service, de la relation humaine au sein des commerces de proximité, mais aussi de leur rôle d’animation essentielle en centre-ville et en zones commerciales. Et ce, bien au-delà de leur pure utilité consumériste.
« Les 2 confinements ont rappelé cruellement aux Français l’importance du service, de la relation humaine au sein des commerces et leur rôle d’animation du tissu urbain »
De ce point de vue, vous avez le vent en poupe et une place qui est devenue plus que légitime : professionnels de santé et commerçants de proximité, procurant des équipements de soins visuels, mais surtout du service, composants d’un tissu économique indispensable au PIB du pays, porteurs de lien social et d’animation des quartiers… Ce changement d’image ne peut qu’aller dans le sens du développement de votre activité en 2021. Des perspectives bien plus enthousiasmantes que la seule question du prix des équipements, des promotions et du reste à charge zéro.
Marie-Dominique Gasnier, rédactrice en chef
Agathe Baudel,
propriétaire de L’Atelier d’Agathe à Bergues et Rosendaël (59)
Stéphan Lemaire,
propriétaire du magasin La Lunette rouge à Paris (75)