Avec une contrainte sans précédent imposée aux flux et déplacements des consommateurs, l’année 2020 a bousculé le paysage des réseaux de distribution. Et là encore accéléré des évolutions engagées depuis quelques années.
Focus sur 4 tendances de fond analysées par 3 experts, Olivier Dauvers, spécialiste de la consommation et de la distribution, Pascale Hébel, directrice du pôle « Consommation » du Credoc, et Hugues Trogan, directeur d’Infobip France.
Le e-commerce à marche forcée
Sans conteste, il apparaît comme le grand gagnant de la période avec notamment une hausse spectaculaire de 42% des ventes en drive. « Avec cette crise, la digitalisation des processus de vente a gagné environ 6 ans en 12 mois », constate Hugues Trogan, directeur d’Infobip France (fournisseur de solutions cloud de relations clients). « La bonne nouvelle est que ces progrès n’ont pas profité qu’aux plateformes puisque le e-commerce a vu son CA augmenter de 24% alors que Amazon France n’a gagné que 7%. Même des secteurs qui se prêtaient peu à l’achat en ligne s’y sont mis, à l’image de la Française des Jeux dont 95% des achats de jeux se font au tabac et qui, en développant une offre dématérialisée avec QR codes, a doublé le nombre de souscriptions en digital.»
« La digitalisation des processus de vente profite aussi aux commerces traditionnels et valorise, en creux, le passage en magasin »
Cet engouement ne devrait pourtant pas faire oublier les magasins physiques comme l’illustre l’Index Shopper experience 2021 de Bazaarvoice*. Si 30% des consommateurs dans le monde admettent avoir restreint leurs déplacements en magasin durant la crise, les Français sont parmi ceux qui valorisent le plus le retour à leurs habitudes en points de vente : 60% s’y disent prêts au sortir de la crise, contre seulement 49% en Allemagne ou aux USA et 43% en Grande-Bretagne…
La bonne affaire des commerces de proximité
Ce retour pourrait bien profiter aux réseaux des commerces de proximité qui ont vu leurs ventes exploser pendant les confinements. « On assiste à une tendance de fond », explique Pascale Hébel, directrice du pôle « Consommation » du Credoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie). « On voit une volonté de consommer des produits locaux couplée à celle de fréquenter davantage les commerces de proximité. D’ailleurs, les données de l’Insee confirment que l’essor du click and collect se joue en bonne partie dans ces réseaux de points de vente.»
« L’attrait pour les commerces de proximité ou à taille humaine semble plus durable que conjoncturel »
La tendance devrait se prolonger mais également impacter les stratégies d’implantation des grandes enseignes, orientées vers un plus grand maillage du territoire. « Ce maillage ne se fera pas exclusivement via des déploiements de magasins traditionnels, mais également par le biais de magasins ‘points de contacts’. C’est ce que fait Castorama, par exemple, avec sa ‘small box’ Casto implantée en centre-ville et plus proche des clients : elle joue le rôle de point de contact et tend même à devenir l’établi du quartier où le client commence à bricoler », analyse Olivier Dauvers, spécialiste de la consommation et de la distribution.
Les centres commerciaux à l’aube d’une nouvelle ère
Entre cet essor du e-commerce et le renouveau des magasins de proximité, les centres commerciaux peinent à trouver leur place. Selon l’institut IRI, une société d’analyse de données et d’études de marché dans les secteurs des PGC, de la parapharmacie et de la distribution, les 10% d’hypers les plus exposés à la crise sanitaire ont vu les ventes (alimentaires et non alimentaires) décroître de 23% en 2020. « Leur activité est menacée dans le non alimentaire mais aussi dans l’alimentaire du fait de l’effervescence des formes de ventes et de magasins », rapporte Olivier Dauvers. « Ils vont devoir se réinventer. En montant en gamme leur panel d’enseignes – on le voit déjà à travers les efforts conséquents consentis sur les loyers pour attirer des marques en vue. A plus long terme, il leur faudra surtout repenser leurs champs de missions pour les élargir à des domaines plus associés aux loisirs ou à l’innovation. »
« Entre essor du e-commerce et attractivité accrue des commerces de proximité de centres-villes et de quartiers, les centres commerciaux peinent à trouver une nouvelle place »
Pascale Hébel souligne cette crise annoncée du monde des centres commerciaux : « Leur modèle correspond à la génération du baby boom et de l’achat en masse mais s’accorde moins aux seniors du papy boom et aux enjeux de proximité portés notamment par l’essor du télétravail.»
Un changement structurel des flux commerciaux qui affecte évidemment les magasins d’optique des grands centres : selon une étude réalisée fin septembre 2020 par Procos** (Fédération pour la promotion du commerce spécialisé), la fréquentation des magasins dans les centres les plus importants a décroché (entre – 20 et – 30%) fin 2020. Avec un impact non négligeable sur le CA des opticiens qui y sont présents. Sans compter, la fermeture des magasins implantés dans les centres commerciaux de plus de 20 000 m2, depuis le 1er février et toujours effective fin mars : elle concerne près de 2 000 points de vente, soit environ 15% du parc magasins (16% du parc optique du groupe Afflelou, 70 magasins Optic 2000 et 160 magasins chez Krys, pour exemple).
La relation client à l’ère conversationnelle
Si la digitalisation des usages a gagné en puissance avec la crise, la digitalisation de la relation client se heurte aux nouvelles aspirations de consommateurs en attente de gammes de services. « Il va y avoir une dimension conversationnelle inédite à intégrer dans la relation client pour instaurer une vraie proximité et la confiance attendue par l’usager », confirme Hugues Trogan. « Cela se jouera à la fois dans le fond, avec une meilleure connaissance des attentes et comportements d’achats, mais aussi dans la forme avec une approche omnicanale mieux architecturée qui permettra d’adresser les messages ciblés avec les bons outils. »
« L’évolution de la relation client vers plus d’autonomisation de ce dernier et d’hyper-personnalisation doit être progressive et ne pas perdre le consommateur »
De nouvelles technologies et nouveaux supports devraient s’imposer pour porter cette relation client plus agile et interactive – à l’image de la technologie RCS (Rich Communication Services) développée par Google. « Elle est emblématique de cette relation client plus fluide car elle enrichit le traditionnel SMS en apportant des outils pour le designer, y intégrer des QR codes, photos ou liens de vente dans le corps même des messages », complète Hugues Trojan.
Cette évolution de la relation client devra se faire sans pour autant noyer ou perdre le consommateur. Attention à ne pas trop miser sur l’hyper-personnalisation : tous les clients ne vont pas devenir des experts dans tous les domaines d’achat du jour au lendemain, et surtout dans les secteurs liés à la santé et à forte valeur ajoutée technologique. Si l’autonomisation dans la relation client progresse, l’achat « standardisé et piloté » a encore de beaux jours devant lui.
* Enquête menée auprès de 6 000 consommateurs aux États-Unis, au Canada, au Mexique, au Royaume-Uni, en France, en Allemagne, en Espagne et en Australie.
** Etude Conjoncture du commerce spécialisé, publiée en octobre 2020
Olivier Dauvers,
spécialiste de la consommation
et de la distribution
Pascale Hébel,
directrice du pôle
« Consommation » du Credoc
Hugues Trogan,
directeur d’Infobip France