Alors que 81% des Français estiment que la santé et l’accès aux soins ne sont pas traités à la hauteur des enjeux dans la campagne présidentielle*, une enquête Opinion Way/Rof et le rapport du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM) ont jeté la semaine dernière un éclairage instructif sur les réformes nécessaires pour lutter contre les inégalités d’accès aux soins, visuels en particulier.
Une urgence à remédier aux déserts médicaux en ophtalmologie
Selon l’enquête Opinion Way « Les Français et l’accès aux soins visuels »** commanditée par le Rof (Rassemblement des opticiens de France), 56% des sondés attendent plus de 4 mois pour obtenir un rendez-vous chez l’ophtalmologiste. Ces difficultés se concentrent sur certaines régions, Bretagne, Centre, Grand Est, Normandie. Dans ces territoires, de 33 à 46% des patients déclarent même un délai moyen de 6 mois et plus. Mêmes disparités selon la taille des agglomérations : pour 35% des sondés vivant dans des communes rurales et pour 37% de ceux habitant dans une agglomération de moins de 100 000 habitants, le délai de rendez-vous est de 6 mois ou plus.
« Les délais de rendez-vous chez l’ophtalmologiste excèdent 4 mois pour plus d’un Français sur 2 »
Pour remédier à ces déserts « ophtalmologiques », le Rof a lancé la semaine dernière une pétition pour « mobiliser les opticiens et les Français autour de 4 mesures rapides, efficaces et immédiates, à même d’apporter des solutions dans tous les territoires » :
- Autoriser les opticiens à communiquer sur la possibilité du renouvellement de l’équipement directement en magasin sur la base d’une ordonnance valide (3ans pour les plus de 42 ans, 5 ans pour les 16-42 ans) « pour dégager du temps médical dans les cabinets d’ophtalmologistes »
- Allonger au-delà de 5 ans la validité des ordonnances des 16-42 ans.
- Faire des opticiens, qui sont présents dans tous les territoires et toutes les agglomérations, même les plus petites, le « trait d’union » entre patient et médecin pour préparer une téléconsultation avec un ophtalmologiste.
- Faire participer les opticiens au dépistage des enfants, en partenariat avec les ophtalmologistes et les orthoptistes.
Au-delà du contenu de ces propositions, le mérite de ce dispositif est de porter la question des inégalités criantes d’accès aux soins visuels au cœur du débat public et auprès des responsables politiques.
Réduire les inégalités de prise en charge pour les assurés
Un débat qui devrait porter également sur le versant « financier » du système de santé. En pointant les effets inégalitaires de l’actuel co-financement AMO/Ocam des dépenses de santé, le rapport du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM) publié la semaine dernière a mis sur la place publique la question de l’accessibilité financière pour tous à des soins essentiels.
« Le système de prise en charge actuel avec co-intervention de la Sécu et des Ocam est inefficace et inégalitaire, selon le rapport HCAAM »
2 des 4 scénarii qu’il propose (« Grande Sécu » et décroisement des domaines d’intervention de l’AMO et des AMC, lire encadré) visent à changer radicalement de modèle. Et ce pour supprimer les inégalités engendrées par le système actuel dans lequel « les plus fragiles et ceux qui en ont le plus besoin sont les moins bien pris en charge ».
Quelles conséquences pour notre secteur ?
Dans le scénario « Grande Sécu », les Ocam assureraient l’intégralité de la prise en charge pour les soins hors 100% Santé. Mais n’auraient plus qu’un « marché » considérablement diminué. Avec comme risque un déremboursement complet de notre secteur : les assurés, comparant les coûts de cotisations et les dépenses en optique, seraient nombreux à se désaffilier.
« Déremboursement de l’optique ou rôle considérablement renforcé des Ocam et des réseaux de soins ? »
Le scénario de décroisement des domaines d’intervention de la Sécurité sociale et des Ocam supprimerait, quant à lui, de facto le remboursement des dépenses optiques par la Sécu sauf pour les bénéficiaires de la C2S (ex-CMU). Cela équivaudrait non seulement à renforcer le poids des Ocam et des réseaux de soins sur notre secteur mais quasiment à tout leur « confier ».
Un débat nécessaire
Il y a peu de chances de voir l’un de ces scénarii repris tel que dans les programmes des candidats à la présidentielle. « Traditionnellement, la santé est la grande absente des échéances électorales. Ce rapport est un rapport de plus, certes. Mais il met le doigt sur le fait que le modèle de co-financement français ne fonctionne plus », analyse Philippe Batifoulier, professeur des Universités en économie, directeur du CEPN (Centre d’économie de l’université Paris-Nord) que nous avons interviewé. « Les vives réactions à la publication du rapport, en particulier des Ocam, devraient conduire à un vrai débat et c’est une bonne chose. » Même constat chez Alain Gerbel, président de la Fnof (Fédération des opticiens de France) : « Le rapport HCAAM, c’est bien. Il met à jour les règles du marché. De quoi, espérons-le, inciter à un grand débat public et citoyen. »
Un débat en tout cas nécessaire car il en va de l’égalité et de l’efficacité de notre système de santé. Et par ricochet des conditions dans lesquelles vous exercerez votre métier dans les années à venir.
Les 4 scénarii du HCAAM
- Maintien co-financement AMO/AMC, mais on le corrige avec simplification des règles de remboursement, réduction des dépenses de gouvernance des Ocam et amélioration de la situation des petits contrats individuels.
- Instauration d’une AMC obligatoire, universelle et mutualiste. Pour tous les résidents français. Elle prendrait en charge les couvertures minimales en optique au-delà du 100% Santé. Le hors 100% Santé serait laissé aux Ocam qui deviendraient « supplémentaires ».
- Augmentation des taux de remboursement de la Sécurité sociale. C’est le fameux scénario de la « Grande Sécu ». L’AMO serait l’assureur unique pour un champ plus large des dépenses. Suppression du ticket modérateur. La Sécurité sociale rembourserait intégralement un panier de soins 100% Santé réévalué et régulièrement révisé pour intégrer l’innovation des fabricants. Pour les soins hors 100% Santé, les Ocam assureraient l’intégralité de la prise en charge.
- Décroisement des domaines d’intervention de la Sécurité sociale et des Ocam. L’AMO et les Ocam interviendraient sur des paniers de soins distincts et une partie des soins aujourd’hui pris en charge par la Sécurité sociale sortirait du panier de soins « public » : médicaments remboursés actuellement à 15 ou 30% par l’AMO, voire 65%, l’optique, les soins et prothèses dentaires, les audioprothèses. Seules les consultations d’ophtalmologistes resteraient dans le cadre du remboursement AMO. Le rôle et le poids des Ocam et des réseaux de soins sur notre secteur s’en trouveraient considérablement renforcés.
* Selon une enquête Odoxa-OnePoint publiée le 11 décembre 2021
** Enquête menée par questionnaire auto-administré en ligne du 21 au 27 décembre 2021 auprès d’un échantillon de 2 055 personnes âgées de 18 ans et plus, selon la méthode des quotas.
Marie-Dominique Gasnier, rédactrice en chef