Alors que des espaces de téléconsultation en point de vente (sans intervention de l’opticien) ont été officiellement lancés à la fin de l’année dernière par Alain Afflelou, les arguments pour ou contre ce type de téléconsultation en magasin s’affrontent, au-delà même de la question de son efficience pour améliorer l’accès aux soins visuels d’une partie de la population. Parce qu’elle apporte du flux client et pourrait renforcer son statut de professionnel de santé, cette pratique est-elle l’avenir de l’opticien ? Ou, au contraire, se fonde-telle sur une approche « mercantile » qui maintient sa dépendance vis-à-vis de l’ophtalmologiste et transforme son magasin en simple annexe du cabinet médical ? Le débat est loin d’être tranché. Deux positions antagonistes s’affrontent. Et pourraient se résumer ainsi.
- La téléconsultation œuvre à un meilleur accès aux soins en « libérant » du temps médical pour les praticiens de la zone concernée et en faisant un premier « tri » de prévention.
- Ce service de proximité a pour effet de conforter l’opticien comme professionnel de santé et acteur du parcours de soins en amont. Une nouvelle étape dans la continuité des délégations de tâches, en somme.
- L’investissement conséquent en matériel étant à la charge du magasin, la pratique n’est pas rentable à l’heure actuelle. Mais, préempter ce segment permet de « capter » du flux en magasin. En effet, la quasi-totalité des patients concernés achètent ensuite leur équipement dans ce même point de vente.
- Les technologies de téléconsultation en cabine sont efficientes. Et les installations se multiplient, y compris en supermarché. On peut penser que, si les opticiens « ratent » ce coche, d’autres viendront prendre la place, hors filière optique. Or, en dépit de ce qu’estime le président du Snof (Syndicat des ophtalmologistes de France), Thierry Bour, toutes les expériences de téléconsultation en dehors du cabinet médical ne se valent pas… Entre l’installation de cabine en supermarché (comme le propose Sym Optic avec une téléconsultation « asynchrone ») et les espaces de téléconsultation existants en magasin d’optique, il y a un pas… Ne serait-ce que parce que le magasin d’optique fait déjà partie du parcours de santé visuelle du patient/client et que, dans le second cas, l’opticien ne pratique lui-même aucun examen pour lequel il n’est pas habilité.
C’est principalement au nom de cette logique de délégation de tâches et de la volonté d’une collaboration repensée entre les 3 « O » (ophtalmologistes, orthoptistes, opticiens) qu’une partie des opticiens s’opposent au développement de cette pratique.
- En préemptant ce service maintenant et sous cette forme, les opticiens ravivent les tensions avec les ophtalmologistes. Ils leur fournissent un argument supplémentaire pour conserver le « monopole » de l’ordonnance en dénonçant des pratiques purement « mercantiles » et une « ubérisation » de la médecine. Il serait dommageable que le déploiement des cabines en magasin mette en danger les développements d’une « collaboration » plus poussée entre les 3 « O ». Et que cela mette un coup d’arrêt à de futures délégations de tâches.
- Pour améliorer partout l’accès à l’ordonnance en dégageant du temps médical, l’objectif prioritaire est plutôt de réformer en profondeur le parcours de soins visuels. Afin d’aboutir à une reconnaissance des compétences des différents intervenants médicaux et paramédicaux. Elle va de pair avec un approfondissement (via une réforme du cursus d’études et la formation continue) de l’expertise de l’opticien et une valorisation réelle de ses prestations… En un mot, il faut poursuivre la logique des délégations de tâches pour que l’opticien soit, via la téléconsultation, mais pas seulement, susceptible de faire de la prescription et de la prévention, dans le cadre d’une coordination efficiente avec l’ophtalmologiste.
Alors, la téléconsultation, avenir de l’opticien ? Sûrement. Mais de quoi sera-t-il fait ? Cette réponse dépend du choix que la profession, dans son ensemble, fera entre ces 2 approches qui, pour le moment, s’opposent.