Comment concilier au mieux les besoins et contraintes des magasins et les attentes nouvelles des salariés ? Répondre à cette question, c’est peut-être trouver une solution à vos problèmes actuels de recrutement. Et cela passe par une réflexion sur l’organisation globale du temps de travail en magasin. 3 de vos confrères témoignent de leur expérience.
Sans tomber dans le procès en « paresse » que certains font à toute une génération de jeunes et moins jeunes salariés, force est de constater que le rapport au travail s’est modifié ces dernières années. L’activité professionnelle a cessé d’être centrale dans l’existence : selon une enquête de l’Ifop pour la Fondation Jean Jaurès, seuls 24 % des salariés, toutes générations confondues, jugent le travail très important. Ils étaient 60 % en 1990 !
La crise sanitaire a donné un coup d’accélérateur
Plus qu’un recul de l’intérêt vis-à-vis du travail, ces chiffres révèlent le souhait d’un grand nombre de salariés, et pas simplement les plus jeunes, à travailler autrement. La crise sanitaire, avec le télétravail et la mise au chômage partiel, est passée par là et a accéléré cette aspiration.
Vous le constatez évidemment en magasin : « La période Covid a accéléré cette transformation », confie Jérôme Tondeur, opticien indépendant à Villefranche-sur-Saône. « Nous avons fermé nos magasins et ce break a été une révolution pour beaucoup : elle a conduit à une remise en question de l’équilibre vie pro/temps libre et à une nouvelle aspiration au confort de vie. » Avec comme avantage une envie de se réaliser plus fréquente chez les salariés, de trouver du sens à son travail.
« Les salariés souhaitent s’accomplir dans leur vie professionnelle, mais suivant des principes qui « affolent » les modèles anciens de management »
Mais, en contrepartie, on observe une réticence nouvelle à accepter les contraintes et une forme de verticalité. Si les salariés continuent de vouloir s’accomplir dans leur vie professionnelle, ils sont décidés à le faire en suivant des règles et des principes qui « affolent » les modèles anciens de management.
Alors comment, en magasin, repenser le travail ? Comment respecter les contraintes de l’activité commerciale, tout en entendant les demandes des collaborateurs, dont, rappelons-le, une grande majorité sont désormais des femmes, d’horaires et d’aménagement du temps de travail différents ?
La question « épineuse » du samedi
Ne pas travailler systématiquement le samedi est une demande qui revient fréquemment de la part des salariés en magasin, principalement des plus jeunes, mais pas seulement. Une « revendication » difficile à intégrer dans la gestion des plannings : le samedi reste la plus grosse journée pour un point de vente. On touche là à une des contraintes de base de toute activité commerciale.
« La question du travail le samedi est un point sensible. Entre employeurs qui doivent être à l’écoute des aspirations des collaborateurs à ne pas travailler le samedi et salariés qui doivent intégrer les nécessités d’un métier de commerce »
« On marche sur un fil avec cette question du samedi », souligne Jean-François Porte, co-fondateur du groupe Edgard Opticiens (25 magasins). « Mais il faut entendre cette aspiration à une plus grande flexibilité des horaires. Pour y répondre, nous avons chez Edgard accorder 2 samedis en plus des congés pour chaque salarié. » Même volonté de s’adapter chez Jérôme Tondeur, dans une approche de concertation : « Il faut que les salariés soient aptes à intégrer les nécessités liées à notre métier de commerce. Mais cela passe par une discussion et, dans le cas de mon magasin, par un audit pour déterminer précisément les horaires d’affluence. Sur cette base, j’envisage que chaque salarié puisse disposer d’un samedi par mois. » De son côté, Vincent Torrilhon, propriétaire de 25 magasins dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, a déjà sauté significativement le pas : « Nous avons mis en place pour nos 250 salariés des samedis « tournants ». Chacun bénéficie ainsi d’une dizaine de samedis non travaillés par an. »
Des expériences concluantes, dans tous les cas, pour fidéliser les collaborateurs. Mais qui dépendent dans leur application de l’environnement commercial : si un magasin de centre de petite ville peut assez facilement fermer quelques samedis par an, un point de vente de centre commercial ou de centre-ville de grosse agglomération doit se soumettre aux contraintes horaires que lui impose son implantation.
Plus de souplesse… pour réaménager le temps de travail
Au-delà du samedi, la solution passe forcément par une régulation des flux client et une plus grande souplesse dans la maîtrise des temps de travail. Là encore, la crise sanitaire est passée par là avec l’opportunité désormais de travailler sur rendez-vous.
« Mais la souplesse, c’est assez complexe à mettre en place », confie Jérôme Tondeur. « On développe de plus en plus les rendez-vous mais on doit néanmoins conserver une présence en magasin à minima. La prochaine étape, pour moi, c’est de discuter avec mes collaborateurs des demandes de temps partiels et d’horaires aménagés. Pourquoi ne pas envisager plus de 70 % ou 80 % ou répartir le travail sur 3 tiers temps plutôt qu’un plein temps ? »
Une adaptation au plus près des aspirations des collaborateurs dont témoigne également Jean-François Porte : « Horaires de fermeture, travail le lundi, etc., toutes ces questions nous les réglons en mettant en place des plannings tournants. Pour que tout le monde adhère à ces aménagements, il faut en permanence être à l’écoute des collaborateurs. Raison pour laquelle nous relançons cette année un nouveau questionnaire de satisfaction après avoir constitué un groupe de travail intégrant nos plus jeunes collaborateurs sur toutes ces questions. »
« Mettre en place plus de souplesse dans l’organisation du temps de travail suppose une vraie concertation entre employeurs et collaborateurs »
Et pourquoi ne pas passer à la semaine de 4 jours ? Une idée expérimentée dans d’autres secteurs et que Vincent Torrilhon met en place d’ores et déjà au sein de son « groupe » régional : « Nos équipes travaillent sur 4 jours désormais. Et ça marche ! Actuellement, tous nos collaborateurs sont des opticiens diplômés et nous n’avons aucun problème d’effectifs. »
Réenchanter le métier pour fidéliser les collaborateurs
Autant d’expériences probantes qui vont de pair avec une certaine vision du métier. « Réorganiser le temps de travail, c’est bien. Mais ce qui rend nos collaborateurs opticiens heureux, c’est avant tout de vraiment pratiquer leur métier en toute liberté, sans pression sur le temps passé avec chaque client et dans un dialogue constructif avec leur employeur », souligne Jérôme Tondeur. « C’est à nous de réenchanter le métier auprès de nos collaborateurs », renchérit Vincent Torrilhon. « Cela passe par des parcours de formation pour tous les collaborateurs. » Même constat chez Jean-François Porte : « Le modèle classique du DPC (Développement professionnel continu) ne suffit plus : nos collaborateurs dont la moyenne d’âge est de 31 ans souhaitent des formations sur mesure avec des valorisations associées. Pour remplir cet objectif, nous avons créé l’Edgard Academy qui centralise pour tous nos points de vente notre offre de formation. »
On le voit, vous êtes nombreux, au quotidien, à expérimenter de nouveaux modes d’organisation du travail et des pratiques de management plus collaboratives. Une condition sine qua non pour redonner à la profession toute son attractivité.
Jean-François Porte,
co-fondateur du groupe Edgard Opticiens
(25 magasins)
Jérôme Tondeur,
opticien indépendant
à Villefranche-sur-Saône (69)
Vincent Torrilhon,
propriétaire de 25 magasins
dans la région Auvergne-Rhône-Alpes